Inexorable : le poids du passé

Dans Adoration, bouclant sa trilogie ardennaise, on sentait déjà le besoin de Fabrice Du Welz de revenir durablement sur un terrain francophone, après son expérience américaine de Message from the King. Présenté quasi simultanément au Festival de Deauville, à l’Etrange Festival et à Toronto, Inexorable confirme cette impression. Dans cette intrigue rappelant de loin d’autres histoires de femme de ménage, gouvernante ou baby-sitter perturbée, Fabrice Du Welz se livre à un joli exercice de style, jouant sur les effets sonores, visuels et de montage, pour mieux concocter un écrin précieux de tragédie familiale, à ses interprètes particulièrement inspirés, de Benoît Poelvoorde et Mélanie Doutey à Alba Gaia Bellugi,

Après le succès retentissant de son premier roman Inexorable, Marcel Bellmer n’a jamais vraiment réussi à renouer avec le succès. Des années plus tard et au sortir d’une dépression qui l’a terrassé, il emménage avec sa femme et éditrice Jeanne Drahi, sa fille Lucie et leur chien Ulysse dans la riche propriété de son beau-père tout juste décédé.
C’est alors que Gloria se fait engager comme femme de ménage. Jeune et fragile, elle trouble Marcel au plus profond de lui. Alors qu’elle s’installe à la propriété, Marcel semble revivre. Mais au fur et à mesure que Gloria se rapproche de lui, Marcel sent remonter à la surface un terrible secret qui, s’il venait à être découvert, pourrait bien le mener à sa perte.

Inexorable, au-delà de l’exercice de style maîtrisé, représente surtout une tragédie familiale qui met en valeur de façon magistrale tous ses interprètes

La trame dramaturgique d’Inexorable s’avère relativement classique : un intrus va s’introduire dans une cellule familiale relativement stable et y inoculer un virus qui va détruire de l’intérieur toutes les interactions entre ses membres. De Théorème à Parasite, en passant par les plus balisés La Main sur le berceau ou Obsession fatale, le cinéma fourmille de ce type d’intrigues qui montrent une famille phagocytée par un agent étranger. On devine donc assez vite ce qui peut motiver la jeune Gloria dans la manigance de ses exactions. L’originalité de Fabrice Du Welz consiste à donner un prétexte littéraire à cette vengeance. Nous n’en dirons pas plus, pour ne pas divulgâcher la surprise aux spectateurs de ce film. Il suffit de savoir que, en la matière, sexe et création sont forcément liés.

On pourrait reprocher à Du Welz, étant donné la prévisibilité de son intrigue, de s’être abandonné à des facilités télévisuelles. Or cela ne s’avère pas du tout le cas. Bien au contraire, Du Welz profite de l’environnement quasiment chabrolien, une belle demeure provinciale (clin d’oeil à La Fleur du Mal où jouait déjà Mélanie Doutey qui effectue ici un retour remarquable), pour y faire flèche de tout bois, en utilisant la structure des escaliers, la profondeur de champ, la texture sonore, proche de la musique contemporaine, et la photographie jouant sur les nuances de clair-obscur et les contre-jours volontaires. L’enfermement dans la famille des Bellmer-Drahi devient au fur et à mesure de plus en plus étouffant, étant donné la menace qui plane venant de Gloria.

Car Inexorable, au-delà de l’exercice de style maîtrisé, représente surtout une tragédie familiale qui met en valeur de façon magistrale tous ses interprètes, de l’écrivain tourmenté et impuissant qui va se mettre à revivre (Poelvoorde, excellent dans un pur registre dramatique) à son épouse frustrée et essayant de préserver les apparences (Mélanie Doutey, remarquable), sans oublier l’ex-future révélation, Alba Gaia Bellugi, qui, après avoir surtout tourné dans des séries TV (Manon, Le Bureau des Légendes), revient enfin au cinéma, où elle avait un peu laissé la place à sa soeur, tout aussi douée, Galatéa (Keeper, L’Apparition) . Assez proche d’une jeune Charlotte Gainsbourg, elle distille un charme vénéneux et inquiétant en instrument du destin, qui est pour beaucoup dans la réussite d’Inexorable.

3.5

RÉALISATEUR : Fabrice Du Welz
NATIONALITÉ : française, belge
AVEC : Benoît Poelvoorde, Alba Gaia Bellugi, Mélanie Doutey
GENRE : Thriller
DURÉE : 1h38
DISTRIBUTEUR : Les Bookmakers/The Jokers 
SORTIE LE 26 janvier 2022