Lorsque Impitoyable est sorti en 1992, la plupart des critiques ont parlé de dernier western, de film clôturant un genre. Aujourd’hui, d’autres westerns ont pourtant été tournés depuis lors; rien que l’année dernière, trois westerns d’auteurs aussi différents que Jacques Audiard, les frères Coen ou Scott Cooper, ont vu le jour. Le genre westernien n’est donc pas complétement mort, même s’il est largement tombé en désuétude, surtout par rapport à l’expansion du fantastique et de la science-fiction. Pourtant, même aujourd’hui, Impitoyable ressemble toujours à un dernier western, établissant l’épitaphe sur la tombe du genre.
En fait, si on compte bien le nombre de films, Clint Eastwood qui a commencé par le western (Rawhide, la trilogie du dollar de Sergio Leone) n’en a pas tant fait que cela, en tant que metteur en scène: quatre seulement au total, L’Homme des hautes plaines, Josey Wales Hors-la-loi, Pale Rider et donc Impitoyable. Mais chaque western s’est révélé marquant et a contribué à perpétuer la légende de l’Homme sans nom. A la fin des années 80 et au début des années 90, Clint était pourtant dans une situation plus que difficile, enchaînant les échecs. Ses films commerciaux, réalisés ou non par lui, (La Dernière cible, La Relève) ne marchaient plus, par lassitude du public. Ses films plus personnels (Bird, Chasseur blanc, coeur noir) buvaient la tasse. Il devenait urgent de trouver une solution pour redresser la barre. Or la solution, Clint la détenait dans sa poche depuis fort longtemps, un formidable scénario signé David Webb Peoples (Blade Runner) que Clint sortait de temps en temps comme une montre en or, en attendant qu’il soit assez âgé pour interpréter le rôle principal.
Le moment vint et la conjonction des astres fut rarement aussi favorable pour Clint Eastwood. Dans ce film, Clint interpréte William Munny, un hors-la-loi ayant tué femmes et enfants sans remords, jusqu’à ce qu’il rencontre Claudia et l’épouse, en devenant fermier. Malheureusement elle meurt prématurément, lui laissant deux enfants sur les bras. Lorsqu’un Kid myope comme une taupe lui propose de venger une prostituée tailladée par des cowboys ivres, il y voit la possibilité de se refaire financièrement en utilisant une dernière fois ses talents de tueur.
C’est donc un cow-boy justicier sur le retour, un peu rouillé, qui repart sur la route. En parallèle, nous observons Little Bill Daggett, shérif de Big Whiskey, la ville où a eu lieu l’incident, qui y fait fait régler l’ordre de manière très violente et personnelle. La Loi est donc dévoyée et pervertie. Un biographe W.W. Beauchamp qui s’est établi dans la ville, raconte les faits et gestes des cow-boys en travestissant les détails et en transformant la réalité en légende. Ainsi, tout comme Les Proies et Un Frisson dans la nuit, représentaient l’entreprise de dévirilisation de l’icône Eastwood, Impitoyable accomplit la nécessaire entreprise de démythification de l’Ouest américain, où les cow-boys s’en prennent à des plus faibles qu’eux, les prostituées, où un tireur myope tue sa première victime dans les toilettes, et où un tueur impitoyable n’hésite pas à achever son ennemi désarmé.
Impitoyable dresse la tombe du western avec une rigueur narrative et une sécheresse de trait exemplaires. Il a pour caractéristique d’avancer tranquillement d’une manière certaine et implacable, en développant largement les personnages secondaires (cette superbe séquence de dialogue sur le perron entre Munny et la prostituée interprétée par Anna Thomson). Le plan fordien qui ouvre et ferme le film, montrant une ombre, celle de William Munny, se recueillant sur la tombe de sa femme, ne peut être plus explicite sur le côté morbide du film. Un mauvais metteur en scène aurait montré par des flash-backs explicatifs le personnage de Claudia, celle qui a su sauver pendant un temps William Munny du mal qui gangrènait son âme. Clint n’en a rien fait, nous laissant nous interroger sur ce mystère. De plus, le film se termine sur la dédicace à Sergio et Don, ses mentors, tout comme La Mule s’achève sur celle à Pierre (Rissient) et Richard (Shickel), les amis critiques et cinéphiles de Clint Eastwood, renforçant l’aspect funèbre du message.
Pourtant, même si le film est dédié en partie à Sergio Leone, son style est assez éloigné du génial Italien. Il se rapproche assez du classicisme tranquille de John Ford, surtout de L’Homme qui tua Liberty Valance et de sa dichotomie entre légende et réalité, en particulier à travers le personnage de l’écrivain Beauchamp, ou également de La Charge héroique, lorsqu’un personnage se confesse au soleil couchant devant une tombe. Néanmoins, encore plus que du cinéma de John Ford, Impitoyable se rapproche encore plus des westerns d’Anthony Mann et de ses sombres histoires de vengeance qui tourmentaient James Stewart (L’Appât, L’Homme de la plaine, Winchester 73). On retrouve en effet dans Impitoyable l’âpreté et la sécheresse de l’Ouest, le vrai, celui où « la mort de quelqu’un c’est quelque chose » et où le mérite n’a rien à voir avec le fait de survivre ou pas. Impitoyable, c’est « a history of violence« , comment la violence gangrène l’âme des gens puis s’avère indispensable pour contrer une violence encore plus nocive, sans pouvoir jamais laisser l’âme des gens en repos.
Impitoyable a remporté à l’époque quatre Oscars dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur, relançant la carrière d’Eastwood pour au moins trente ans. Contrairement à ce qui arrive souvent dans ce type de cérémonies, personne ne contesta les prix qui lui furent remis ni la valeur du film. Un chef-d’oeuvre.
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RÉALISATEUR : Clint Eastwood NATIONALITÉ : américaine GENRE : western AVEC : Clint Eastwood, Gene Hackman, Morgan Freeman, Richard Harris, Anna Thomson DURÉE : 2h11 DISTRIBUTEUR : Warner Bros Pictures SORTIE LE 12 septembre 1992