Il pleut dans la maison : édifiant tableau d’une classe sociale démunie

Après un premier film, Petit samedi (sélectionné à la Berlinale 2020, Grand prix du jury Diagonales au Festival Premiers Plans d’Angers 2021, Magritte du meilleur long-métrage documentaire 2022), Paloma Sermon-Daï propose cette fois-ci une immersion radicale et brute dans l’épouvantable et miséreux quotidien d’une sœur et d’un frère, des déshérités livrés à eux-mêmes. Dans cette peinture glaçante d’un milieu pauvre, la réalisatrice belge conçoit un univers glauque, sordide, presque lugubre, dans lequel les deux jeunes doivent affronter une existence franchissant les limites de la pauvreté, devenant éprouvante, même inimaginable. L’extrême âpreté des situations, associée au poids des images, font de ce film un petit chef-d’œuvre de dramaturgie sociale, provoquant les plus profondes émotions face à cette description d’une vie misérable et peu enviable. Néanmoins, sous la dureté évidente du propos, se glisse le portrait d’une relation incassable, dont la beauté et la solidité agissent comme une carapace luttant contre la pression sociétale. Le talent de Paloma Sermon-Daï ne laisse guère de doutes, quant à son prometteur avenir derrière la caméra. Présenté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2023, Il pleut dans la maison a de quoi convaincre les spectateurs qui auront l’honneur de découvrir ce film en salle.

Makenzy et Purdey tentent de survivre et d’échapper à une ambiance familiale dévastatrice. Malgré des parcours grevés par des finances désastreuses, ils essayent de se soutenir pour entrevoir un avenir plus épanouissant.

Réalisation à forte dominante sociale, critique d’un environnement partant à la dérive, images d’une famille abandonnée, mais surtout évocation d’adolescents devant faire face à des réalités glauques et devenant presque des adultes responsables, cette œuvre retranscrit des vies, dans tout ce qu’il y a de plus malheureux et démoralisant, dont les rudesses se mélangent à des journées rythmées par le désœuvrement et le système de la débrouille.

La cinéaste brille dans la représentation de la misère, à l’aide de décors récréant le confort spartiate d’une maison, où l’argent et la nourriture manquent cruellement. Des peintures craquelées aux murs transpirant de chaleur et d’humidité, ce lieu se transforme en un endroit de marginalisation et de précarité, avec une mère absente ne subvenant pas aux besoins. Ce portrait familial, terrible et choquant, bien mis en scène par Paloma Sermon-Daï , associe la violence du quotidien au choc visuel, ces images peignant le pire tableau qui soit, celui de la déchéance humaine et d’une possible vertigineuse descente vers les bas-fonds d’une population oubliée. Plus qu’édifiant, ce beau film, reconstituant parfaitement cette atmosphère de pauvreté que nous comprenons et devinons, devient l’exemple d’une société imparfaite, avec ses travers et ses injustices personnifiés par ces deux adolescents, ces victimes de la défavorisation. Il pleut dans la maison aurait pu être le titre d’une comédie. Pourtant, il devient en réalité cohérent par rapport au contenu, cette pluie matérialisant les douloureux désagréments s’abattant sur cette famille éprouvée par les difficultés. La cinéaste excelle dans la manière de filmer l’horreur des moments, figer sur pellicule ces regards, ces paroles, cette incommunicabilité qui en dit long sur l’état d’esprit de ces enfants vivant dans une forme d’indépendance relative, palliant l’absence d’un repère maternel, ce personnage de mère si utile pour une construction personnelle, et rendue si distante et déconnectée par la cinéaste belge.

À côté de ce palpable déséquilibre, le scénario de Il pleut dans la maison comporte d’autres axes de lecture, dont la proximité liant Makenzy et Purdey, sœur et frère, face à ce déluge de tristesse et de quasi-désespoir. Dans ce sombre et austère climat, cette relation forte, ce coin de ciel bleu dans la noirceur du jour, adoucit quelque peu cette pesante et pourtant si puissante impression de spleen. Les deux interprètes, Makenzy et Purdey Lombet, apportent beaucoup d’épaisseur et de douceur dans ce si beau film. Diamétralement opposés et survivant chacun différemment à ce mode de vie compliqué, ils construisent un schéma de soutien, un rempart solide face aux vagues d’amertume déferlant dangereusement sur leurs psychologies. Paloma Sermon-Daï transforme les faiblesses psychiques en une force insondable remplie d’espoir et d’ambition. Ainsi, et avec une histoire aux accents a priori larmoyants, elle réalise un long-métrage saisissant de vérité, à la fois doux et débordant d’une profonde humanité, chaque plan immortalisant chaque émotion ressentie. En filmant au plus près de ces personnages, elle pénètre, sans violence, dans l’intimité d’un microcosme familial instable, mais en recherche de renouveau, De ce film, reste ainsi dans le souvenir une formidable conclusion, celle que les problèmes peuvent avoir des solutions, que les montagnes d’obstacles doivent être franchies, une morale que chacun est libre de méditer, à son niveau.

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RÉALISATEUR :   Paloma Sermon-Daï 
NATIONALITÉ : Belgique- France
GENRE :  Drame
AVEC : Makenzy Lombet, Purdey Lombet
DURÉE : 1h20
DISTRIBUTEUR : Condor Distribution 
SORTIE LE 3 avril 2024