C’est un tournage sans fin. Quelque part dans le ciel, un hélicoptère rôde et scrute patiemment. Il fait nuit, mais il voit tout, ou presque. Lorsqu’une lueur apparaît dans le viseur, le pilote doit rapidement jauger la situation : y a t-il une menace, oui ou non ? La réflexion est binaire, la décision aussi, le pilote doit trancher entre la vie ou la mort. Dans cette mortelle partie de cache-cache, la quasi-omniscience visuelle n’élude pas le facteur humain : derrière la caméra, un être subjectif. Avec Il n’y aura plus de nuit, La réalisatrice Eléonore Weber confronte les perceptions et interroge le rapport de l’Homme aux images.
Dans le ciel du Moyen-Orient, les armées américaine et française survolent les paysages et les gens : des soldats, alliés ou ennemis, mais aussi des civils. Depuis son hélicoptère, le pilote peut voir, de jour comme de nuit, sur plusieurs kilomètres. Si loin qu’on l’entend à peine, lui qui pourtant peut deviner les habits de celui qu’il vise. Le pilote se fond dans la machine : son œil-caméra capte et enregistre le moindre de ses mouvements. Au centre de l’image, un viseur rappelle en permanence l’objectif de la mission. Lorsqu’une menace apparaît, le pilote peut être amené à tirer. Il n’entend rien du déluge qui s’abat sur terre, mais il peut voir les corps tombés, inertes ou convulsant. Il observe la scène et passe à autre chose.
Succession de vidéos enregistrées par des soldats et des pilotes, Il n’y aura plus de nuit se construit comme une expérience immersive. On embarque dans des conflits qui ne disent pas leur nom, quelque part en Irak, en Afghanistan ou au Pakistan. Le documentaire élude la dimension géopolitique pour se concentrer sur notre relation aux images et à la technologie. Alors que le pilote surveille le sol et évalue les risques, il est lui même surveillé, jugé. Si la mission est réussie, les images captées deviennent des trophées, des preuves du travail accompli. Le grand public, spectateur de ces documents opérationnels, peut percevoir différemment la situation.
Comment être certain des intentions de ces silhouettes lumineuses ? Est-ce que le tir était justifié ? Si la caméra permet de scruter le sol, elle ne peut toutefois répondre à ces questions. Elle est un outil dans les mains des soldats, qui agissent selon des codes et des règles militaires. Il naît de ces connaissances une perception de la réalité. Nathalie Richard, qui se fait la voix d’Eléonore Weber, rapporte les échanges menés avec un militaire rencontré dans le cadre du documentaire, une remarque sort du lot : l’œil civil ne peut comprendre ces images.
Au fil des opérations, le doute apparaît brièvement dans les propos du militaire, qui a souhaité conserver son anonymat. L’oeil-caméra, qui observe froidement les formes, les lueurs, les signatures thermiques, déréalise et déforme le réel. Un état de rêve éveillé. Si la technique a pu vaincre la nuit, son jour n’en reste pas moins un faux jour. Et le contrechamp final, en Amérique du nord, nous ramène parfaitement à cette idée : dans le ciel, il n’y a qu’une réalité, celle du pilote au travers de sa caméra. Plus largement, le documentaire pose également la question de la surveillance généralisée, partout et tout le temps.
Si l’exercice était périlleux, le résultat est une belle réussite. Avec Il n’y aura plus de nuit, la réalisatrice Eléonore Weber bouscule notre rapport aux images. Si nous pouvons désormais voir dans la plus terrible des nuits, l’accès au réel reste toutefois complexe et suscite des interrogations.
RÉALISATEUR : Eléonore Weber NATIONALITÉ : France AVEC : Nathalie Richard GENRE : Documentaire DURÉE : 1h15 DISTRIBUTEUR : UFO Distribution SORTIE LE 16 juin 2021