Hors du temps : un confinement à la campagne

On avait laissé Olivier Assayas avec l’une de ses meilleures oeuvres, Irma Vep, la série, (toujours pas sortie en vidéo), récapitulant une quarantaine d’années de sa filmographie, de manière fluide, conjuguant ses différentes polarités et ouvrant des interrogations passionnantes sur le cinéma d’aujourd’hui et de demain. Face à cette oeuvre-somme, que faire d’autre pour poursuivre? Un opus nettement plus modeste, mineur, presque murmuré, où Olivier Assayas revient également sur son passé, l’espace d’un confinement, en compagnie de son frère et de leurs deux jeunes compagnes. Hors du temps ne paie pas ainsi de mine et se propose de chroniquer un confinement à la campagne.

Paul, réalisateur, et son frère Etienne, journaliste musical, sont confinés à la campagne dans la maison où ils ont grandi. Avec eux, Morgane et Carole, leurs nouvelles compagnes. Chaque pièce, chaque objet, les arbres du jardin, les sentiers parcourant les sous-bois leur rappellent les souvenirs de leur enfance, et leurs fantômes.

Si l’on accepte le principe du film, Hors du temps finit tout de même par exhaler un certain charme, celui de vacances improvisées, éphémères et surtout non souhaitées.

Dans l’oeuvre polymorphe d’Olivier Assayas, Hors du temps appartient à la ligne française et classique (Fin août, début septembre, L’Heure d’été, Doubles vies) par opposition à une ligne plus rock et internationale (Irma Vep, Demonlover, Clean, Boarding Gate). On pourra s’étonner du manque d’ambition affiché et revendiqué du film : il s’agit en effet de chroniquer un confinement en pleine verdure, réunissant les deux frères Assayas, Olivier le cinéaste et Michka le critique musical, rebaptisés sans trop de conviction et assez inutilement, Paul et Etienne. Assayas s’en tiendra strictement à cela, un confinement quotidien, avec ses contraintes et libertés, nonobstant le fait qu’il concerne des privilégiés qui n’ont pas d’inquiétudes majeures sur leurs moyens de subsistance ni sur la possibilité d’attraper le moindre virus, ce que certains pourront à juste titre trouver hors sol car ne correspondant pas à la situation basique de la plupart des gens.

Avouons que le côté mineur de l’oeuvre l’emporte sur toute autre forme de considération. Assayas commence par présenter la vaste propriété bourgeoise de la vallée de Chevreuse, près de Paris, qui appartenait jadis à ses parents et les accueille, son frère et lui, ainsi que leurs compagnes. On commence à se demander pourquoi le cinéaste a pris la peine d’enregistrer la voix off qui ouvre le film, et que l’on retrouvera de temps à autre, alors que Vincent Macaigne, interprétant son alter ego, aurait très bien pu s’en charger beaucoup mieux. A la réflexion, c’était sans doute une manière pour Assayas, de signer de façon plus personnelle et intime cet opus, recréation d’une période qu’il a effectivement vécue.

Ensuite il nous convie à partager tous les petits tracas du quotidien engendrés par le confinement : problèmes gastronomiques, obsessions ménagères, problèmes de cohabitation avec son frère, séances de psy à en visio, discussions entre divorcés sur la garde d’une fille, etc. Sans enjolivements, tout le monde y reconnaîtra un peu ce qu’ils ont vécu, hormis la différence notable de superficie. C’est parfois drôle mais souvent très anecdotique (cf. les deux frères se disputant sur la manière de trier et ranger la nourriture). On peut regretter que l’obligation de confinement n’ait pas engendré une plus grande profondeur de réflexion dans les échanges et pensées. C’est davantage au rayon des souvenirs que le film marque quelques points, Assayas filmant de manière nostalgique les pièces de sa maison, les rayonnages de sa bibliothèque ou évoquant des souvenirs « que les moins de 20 ans ne pourront pas connaître« , sur les frasques rock n’ roll des années 80. Si les deux frères usent du name-dropping à foison, cela pourra aussi passer au-dessus de la tête de bien des spectateurs qui, soit n’auront pas connu cette période, soit ne sont pas des spécialistes et initiés de la New Wave. Néanmoins cela ne constitue pas le plus grand reproche qui puisse être fait aux personnages de Hors du temps : le film montre surtout l’égocentrisme forcené d’intellectuels artistes qui se montrent profondément autocentrés et indifférents à la situation d’autrui. En cela, le film touche juste, même si l’on ne sait pas si cette part d’auto-critique relevait d’une démarche consciente de la part du réalisateur-scénariste.

Si l’on accepte le principe du film, Hors du temps finit tout de même par exhaler un certain charme, celui de vacances improvisées, éphémères et surtout non souhaitées. La présence de Vincent Macaigne et Nora Hamzawi rapproche forcément ce film de Doubles vies, via un certain aspect comique, tandis que, vers la fin, des discussions entre Paul et sa fille au sujet de querelles potentielles d’héritage situent l’oeuvre dans la continuité de L’Heure d’été. Cela ne dépasse pourtant guère ici le niveau de l’anecdotique et on peut se demander par moments si Assayas n’aurait pas mieux fait de garder ce projet à l’état d’embryon, tant son caractère personnel et trop intime l’empêche d’accéder à une certaine universalité de l’expérience. Comme s’il n’avait pas trouvé la bonne distance pour raconter cette histoire trop proche de sa biographie. Quoi qu’il en soit, ne manquant pas de ressources créatives, Olivier Assayas s’est déjà lancé sur un autre projet a priori plus porteur, l’adaptation du Mage du Kremlin, premier roman à succès de Giuliano De Empoli, Grand Prix du roman de l’Académie française 2022, sur une éminence grise de Vladimir Poutine, ouvrant un autre chapitre de sa filmographie diverse, après les épisodes cubains, asiatiques ou américains,

2.5

RÉALISATEUR : Olivier Assayas 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : comédie dramatique 
AVEC : Vincent Macaigne, Micha Lescot, Nine d'Urso, Nora Hamzawi, Maud Wyler 
DURÉE : 1h45
DISTRIBUTEUR : Ad Vitam 
SORTIE LE 19 juin 2024