Présenté en Compétition dans la Sélection Officielle, Les Nuits de Mashhad, le nouveau long métrage du cinéaste Ali Abbasi, était attendu sur la Croisette, notamment après Border, qui avait constitué l’une des révélations de la section Un Certain Regard en 2018. Autant le dire tout de suite : le film est loin d’être une réussite, diffusant même une gêne persistante…
Inspiré d’un fait divers survenu entre 2001 et 2002 en Iran, Les Nuits de Mashhad met en scène une journaliste de Téhéran plongeant dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Assez vite, elle va s’apercevoir que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’oeuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées.
Cette ouverture sera à l’image de l’ensemble du film qui entend bien constamment « passer en force », afficher ses effets et bien faire comprendre aux spectateurs la pesanteur et le tragique de tout ce qu’il va voir à l’écran.
Dès les premières scènes, le ton est donné : plans sur une moto qui roule dans les ruelles la nuit à la recherche de proies, plan général sur la ville éclairée en hauteur, à la manière de Zodiac de David Fincher (une référence qui a légitimement sauté aux yeux de nombreux festivaliers), musique assourdissante et envahissante à l’américaine et incrustation du titre. Cette ouverture sera à l’image de l’ensemble du film qui entend bien constamment « passer en force », afficher ses effets et bien faire comprendre aux spectateurs la pesanteur et le tragique de tout ce qu’il va voir à l’écran.
Que Ali Abbasi ait eu envie de traiter ce sujet, dont on imagine bien qu’il veut en faire un reflet de la société iranienne, est chose tout à fait louable. Mais pour cela, il fallait adopter un regard, une posture de cinéaste bien précise. C’est sur ce point que le réalisateur échoue complètement en livrant une oeuvre étonnamment complaisante, qui distille durant toute la projection (et même bien après, il faut l’avouer !) un profond malaise, un côté réellement détestable. La faute, d’abord, à un traitement au mieux maladroit, au pire assez grotesque de la violence filmée. S’attarder sur un meurtre, choisir de le filmer frontalement doit avoir du sens : c’est là que se pose la question du point de vue. Pourquoi faire durer des plans sur les visages des prostituées étranglées ? Pourquoi, dans une scène ridicule, faire parler une femme morte et la faire ricaner bêtement ? D’aucuns répondront que la scène permet de montrer la folie du personnage principal. Mais était-ce vraiment utile ? Autre plan étrange : celui du haut du corps d’une autre femme morte, filmée de profil au sol, avec une « magnifique » lumière en fond. Quel intérêt – si ce n’est la recherche de l’esthétique et du beau ? Enfin, sans trop dévoiler la chute, que penser du cadrage final avec, une fois encore, une caméra qui s’attarde complaisamment sur un visage en souffrance ?
Un mot pour terminer sur la réalité de ce qu’entend montrer Abbasi. Certaines séquences montrent en effet une population qui finit par prendre fait et cause pour le tueur en série, dans la mesure où celui-ci opère « au nom de Dieu » afin de nettoyer la ville des impuretés. Ce thème, au final, reste trop peu exploité. A ce titre, le traitement du personnage de la femme du criminel est symptomatique, tout comme l’est celui du fils. Des éléments (auxquels on pourrait rajouter le lieu Saint que constitue Mashhad) que le metteur en scène aurait peut être dû développer pour convaincre.
Si l’on en croit certains papiers de confrères, Les Nuits de Mashhad aurait enflammé le Festival. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a davantage des allures de coup de force démonstratif, ostentatoire et tapageur.
RÉALISATEUR : Ali Abbasi NATIONALITÉ : France, Danemark, Suède, Allemagne AVEC : Zar Amir Ebrahimi, Mehdi Bajestani, Arash Ashtiani GENRE : Thriller à l'américaine DURÉE : 1h56 DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport SORTIE LE 13 juillet 2022