Hallelujah, les mots de Leonard Cohen : la sérénité au bout du chemin

Parfois on a envie de se poser, d’éviter les sentiers du bruit et de la fureur, de se rasséréner auprès d’une voix amie. Ces jours-là, on écoute Leonard Cohen, barde légendaire au même titre qu’un certain Bob Dylan. L’originalité du beau documentaire de Dan Geller et Dayna Goldfine consiste à évoquer la figure du poète à travers le destin tortueux d’une de ses plus belles chansons, Hallelujah, morceau qui a bien failli ne jamais exister. En fait, l’histoire de cette chanson est un prétexte pour élargir le film à une biographie couvrant toute la vie du chanteur, de ses débuts tardifs dans la musique, à trente ans révolus, après une carrière d’écrivain, à sa tournée sans fin suite à une escroquerie dont il a été victime, qui l’a presque ruiné. A la fois moine et séducteur, tel qu’en lui-même l’éternité le change, se présente ainsi Leonard Cohen, poète paradoxal et contradictoire qui a fini par apprivoiser la sérénité, en étant débarrassé des richesses matérielles et en partant sur les routes.

Ce beau documentaire est ainsi divisé en plusieurs parties, la formation de poète et les débuts, l’écriture d’Hallelujah, les premiers artistes qui l’ont remarquée (Dylan, John Cale, Jeff Buckley), son étrange destin qui l’a fait devenir une sorte de tarte à la crème des télé-crochets, la retraite bouddhiste de Leonard Cohen pendant sept à huit ans, la série de concerts qui l’a mené à plus de 75 ans à reprendre la route et à rencontrer ses fans.

A la fois moine et séducteur, tel qu’en lui-même l’éternité le change, se présente ainsi Leonard Cohen, poète paradoxal et contradictoire qui a fini par apprivoiser la sérénité, en étant débarrassé des richesses matérielles et en partant sur les routes.

On connaît la célèbre anecdote (mais on ne se lasse pas de la répéter) où Dylan et Cohen se rencontrent dans un café parisien du 14ème arrondissement et échangent des propos aimables entre collègues qui s’admirent réciproquement. Dylan félicite Cohen pour Hallelujah, chanson dont il a remarqué l’exceptionnelle qualité et l’interroge sur le temps qu’il a passé à écrire cette oeuvre remarquable. Cohen répond « sept ans » ; on peut en effet observer dans le film les fameux carnets qui contiennent 150 couplets qui ont été écrits afin de parvenir à la version définitive. Cohen, poli, retourne à Dylan la question pour I and I, une chanson de l’album « Infidels » et se voit répondre de manière hallucinante par le futur Prix Nobel de Littérature, « quinze minutes ». Deux manières différentes de voir l’art de la chanson, deux génies distincts dans leur façon de concevoir l’écriture, l’une plus passionnée et intense (Dylan), l’autre plus patiente et sereine (Cohen), pour des résultats assez équivalents.

Hallelujah est en effet une perle dans le domaine de la chanson, un phénomène mystérieux et complexe qui possède d’infinies lectures dont surtout les visions érotique et mystique. Dans Hallelujah, l’acte de foi se confond avec l’acte de chair. On ne sait trop ce que Cohen visait exactement en l’écrivant mais la pluralité des significations permet à cette chanson d’atteindre un niveau insoupçonné. Cela a déterminé son destin étrange : en effet, elle a failli ne pas être publiée, Columbia refusant d’enregistrer l’album Various positions (Leonard le coquinou!) qui la contient. Elle fut donc d’abord remarquée par Dylan qui l’interpréta sur scène. Ensuite, dans une compilation des Inrockuptibles, John Cale, l’ex-membre du Velvet Underground, l’a interprétée en choisissant les couplets et en s’accompagnant seul au piano. Une version dénudée absolument magnifique qui inspira ensuite Jeff Buckley en 1994, pour en donner une version angélique sur l’album mythique Grace. La chanson atteignit ensuite une dimension planétaire en figurant sur l’album de la bande originale de Shrek, interprétée par Rufus Wainwright (contrairement au film où la version de John Cale fut choisie).

Le documentaire s’attarde peut-être un peu trop sur les innombrables versions de la chanson qui suivirent, ce titre devenant un classique des télécrochets, style Nouvelle Star, Star Academy ou The Voice. On pense alors être presque saturé de ce morceau, jusqu’à ce qu’on réécoute les versions de Cohen, Cale, Buckley ou Wainwright, qui restituent parfaitement la limpidité et la pureté mélodiques assorties à ce texte magnifique.

Mais le film reprend de la hauteur lorsqu’il se penche sur la trajectoire singulière de Cohen à la fin de sa vie, moine bouddhiste pendant quelques années, puis escroqué par son amie impresario et agente, et enfin, devant repartir en tournée pour récupérer l’argent qui s’est évaporé en fumée. Pour ceux qui ont vu cette tournée (votre serviteur qui écrit ces lignes pour le dernier concert donné par Cohen en France), cela demeure un souvenir inoubliable, bien restitué dans le documentaire de Dan Geller et Dayna Goldfine : trois heures de concert où un poète authentique vous offre sa quête de la beauté ainsi que sa sérénité au bout d’un long chemin, en vous bénissant en partant. C’est plus qu’inoubliable, c’est sublime. Merci pour toujours, Leonard.

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RÉALISATEUR :  Dan Geller et Dayna Goldfine 
NATIONALITÉ : américaine 
AVEC : Leonard Cohen, Bob Dylan, Jeff Buckley 
GENRE : Documentaire musical 
DURÉE : 1h58 
DISTRIBUTEUR : The Jokers/Les Bookmakers 
SORTIE LE 19 octobre 2022