Grand Tour : un voyage fantasmagorique en Asie d’une grande beauté

Sixième long métrage du cinéaste portugais Miguel Gomes (après notamment Ce Cher mois d’août, Tabou ou Les Mille et une nuits), Grand Tour propose un voyage captivant au sein d’un continent qui ne l’est pas moins et dans lequel le temps semble suspendu. Une rêverie qui laissera probablement pas mal de spectateurs sur le côté de la route mais qui mérite amplement le détour.

Rangoon, Birmanie, 1917. Edward, fonctionnaire de l’Empire britannique, s’enfuit le jour où il devait épouser sa fiancée Molly. Déterminée à se marier, Molly part à la recherche d’Edward et suit les traces de son Grand Tour à travers l’Asie.

Ce mélange à l’écran est d’ailleurs détonnant d’autant plus qu’il est perceptible par le biais de la couleur, réservée aux images du présent, comme si ce dernier venait télescoper le passé

Une nouvelle fois, une œuvre présentée en compétition cette année (après le puissant Caught by the Tides de Jia Zhang-ke) a pour origine un projet étonnant et un dispositif passionnant. Si le passé colonial du film a été tourné en studio (ce qui apporte une touche surannée à l’ensemble), Miguel Gomes est parti effectuer le même périple que celui de ses personnages, avec une équipé très réduite et a filmé en caméra 16 mm afin de capter les paysages qu’il a traversés durant environ cinq semaines (dont une partie en télétravail pour cause de Covid-19). Ce mélange à l’écran est d’ailleurs détonnant d’autant plus qu’il est perceptible par le biais de la couleur, réservée aux images du présent, comme si ce dernier venait télescoper le passé : c’est l’effet produit par la toute première scène d’un manège dans une fête foraine, actionné manuellement et de manière spectaculaire par de jeunes hommes, invitant littéralement les spectateurs à entrer « dans la ronde » du récit ; ou encore ces digressions magnifiques de spectacles de marionnettes ou d’ombres chinoises qui constituent autant de marqueurs de l’univers que le cinéaste met en place dans son long métrage. Le noir et blanc, sublime (faisant écho au cinéma muet), fait réellement penser à celui des archives. Le décalage, d’abord déroutant, devient une idée de cinéma formidable.

Le long métrage s’inscrit également dans un contexte historique précis : le début du XXe siècle, plus précisément l’année 1918, dans les colonies européennes. Une époque durant laquelle le « Asian Grand Tour » (nom donné à l’itinéraire qui part d’une des grandes villes de l’Empire britannique, en Inde, et se termine en Chine ou au Japon) est très à la mode : à l’instar de Edward et de Molly, de nombreux voyageurs européens l’ont entrepris et plusieurs d’entre eux ont écrit des livres sur cette expérience. Le fait colonial (la domination des blancs et ce sentiment de supériorité sur les autochtones) est bien entendu évoqué mais n’est pas véritablement le cœur du sujet d’un film romanesque.

Si Grand Tour est constitué de plusieurs temporalités, il est aussi construit en deux grands moments, comme autant de points de vue divergents sur des mêmes espaces visités

Si Grand Tour est constitué de plusieurs temporalités, il est aussi construit en deux grands moments, comme autant de points de vue divergents sur des mêmes espaces visités : d’abord celui d’Edward qui fuit Molly repoussant l’échéance du mariage souhaitée par cette dernière, puis celui de Molly, femme déterminée à officialiser l’union, après plusieurs années de fiançailles. Si, dans un premier temps, il est un peu difficile de rentrer dans une œuvre volontairement très lente, quasiment ethnographique, la deuxième partie est un ravissement et surtout permet une lecture de tout ce qui a été vu auparavant. Grand Tour appartient donc à la catégorie de ces films qui se méritent certes, mais dont on apprécie le début à l’aune de la suite. Néanmoins, nos deux protagonistes ne sont pas « seuls » dans ces mondes (bientôt engloutis), ils sont accompagnés : l’exemple le plus beau est sans conteste celui de Ngoc, la domestique dans la demeure du riche propriétaire terrien, M. Sanders, qui se rapproche de Molly jusqu’à la suivre dans la suite de ses « aventures ». De la même manière, pour raconter les étapes de ce voyage fantasmagorique, Gomes a recours à des voix off qui correspondent aux pays traversés.

Grand Tour appartient donc à la catégorie de ces films qui se méritent certes, mais dont on apprécie le début à l’aune de la suite

Grand Tour confirme le talent et la singularité de Miguel Gomes, assurément l’un des auteurs les plus fascinants du moment. Si l’œuvre est exigeante, elle n’en reste pas moins l’une des propositions les plus stimulantes présentées au Festival de Cannes.   

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RÉALISATEUR : Miguel Gomes
NATIONALITÉ :  France, Italie, Portugal, Allemagne, Japon, Chine 
GENRE : Aventure, comédie dramatique
AVEC :  Gonçalo Waddington, Crista Alfaiate, Teresa Madruga
DURÉE : 2h09
DISTRIBUTEUR : Tandem / Shellac
SORTIE Prochainement