Get out : noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir

Il convient avant toute chose de le préciser : Get Out n’est absolument pas un film d’horreur dans le sens moderne du terme (slasher, torture porn, etc). Bien loin d’un Hostel ou d’un Conjuring, le film se situe beaucoup plus dans le thriller psychologique façon Misery que le gore ou le jump scare à répétition. Et encore.

Avant tout un film satirique sur les tensions socio-raciales actuelles (tout particulièrement dans le contexte états-unien actuel), le film est absolument fascinant dans la foultitude de micro-éléments et références qu’il développe, notamment autour de l’appropriation actuelle de la culture Afro-américaine par les blancs (avec l’aide littérale d’une cuillère d’argent). Pris sous cet angle, difficile de ne pas imaginer Get Out comme un équivalent cinématographique de ce que chante Kendrick Lamar, en particulier dans sa chanson The Blacker The Berry (référence d’ailleurs hautement hip et mainstream, traduisant parfaitement le statut de blanc progressiste de classe moyenne du rédacteur de ce texte, soit exactement… le portrait des antagonistes du film).

Une satire affutée de l’appropriation de la culture Afro-américaine par les WASPs libéraux.

Le film ne s’arrête pas à la seule opposition WASPs – Afro-américains mais discute aussi de l’opposition « blacks on blacks ». La scène de Lil Rel Howery (l’agent de la TSA) chez l’inspectrice de police est absolument cruciale (bien qu’un peu caricaturale) à cet égard, rappelant que les statistiques états-uniennes sur les bavures policières montrent aussi des préjugés venant de policiers Afro-américains… envers les Afro-américains. Comme le place le film dès son introduction : il n’y a pas d’endroit sûr. Que ce soit la banlieue pavillonnaire propre sur elle, le bureau d’une inspectrice de police ou une maison de classe moyenne, tout peut potentiellement renvoyer vers « The Sunken Place », cet endroit où les gens décident pour vous, parlent pour vous, et où les cris de la population afro-américaine deviennent inaudibles.

Depuis son ouverture rappelant autant le Halloween de Carpenter que la mort d’Eric Garner, jusqu’à l’indifférence policière face à la surreprésentation des Afro-américains dans les disparitions aux USA, c’est toute la trame de fond de Get Out qui s’intègre totalement dans la réalité sociale actuelle. Difficile aussi de ne pas analyser sous l’angle politico-social l’utilisation du téléphone portable comme révélateur des problèmes cachés dans la résidence Armitage quand on sait l’impact qu’a eu cette même utilisation dans la révélation de nombreux récents cas d’abus policiers.

Dommage qu’on soit plus dans un témoignage-catalogue atmosphérique que dans une réflexion profonde, une somme de micro-agressions du quotidien, parfois calculées, parfois involontaires, mais s’inscrivant toujours dans une atmosphère délétère et anxiogène. Get Out pointe beaucoup de choses avec moult références à l’histoire peu glorieuse des Etats-Unis face aux Afro-américains (le coton, la résidence rappelant les grandes maisons des plantations, le style vestimentaire des domestiques), mais sans aller au-delà de cette seule démonstration. Cependant, on peut décemment supposer que Peele a plutôt chercher, à travers son film, à rendre une partie des gens conscients de ce qu’ils peuvent faire de travers sans le faire exprès, parfois avec les meilleures intentions du monde.

Si Get Out pointe beaucoup mais superficiellement, il cherche avant tout à faire prendre conscience des préjugés « polis ».

Ces gens bien intentionnés, sensibles aux problèmes sociaux et raciaux, qui donnent peut-être à des associations pour l’intégration sociale, mais qui, potentiellement, causent plus de problèmes qu’ils n’en règlent, sont clairement la cible d’un film qui souhaite, en définitive, les aider à comprendre « l’expérience afro-américaine » (comme nommée dans le film).

Cela étant, ces éléments à la tonalité sombre n’empêche aucunement le film d’avoir un humour caustique affuté, notamment à travers les multiples sous-entendus des beaux-parents. Une petite blague sur Jesse Owens et les JO de 1936 ? Trop facile. Les blancs libéraux qui votent pour Obama parce que c’est cool ? Coché. En cela, le film fonctionne quand il joue précisément sur tout cet ensemble évident de rassemblement poli qui cache en fait une méconnaissance de l’autre, une action qui, sans le vouloir, sort la minorité présente de sa zone de confort alors qu’elle n’a rien demandé. L’humour est donc à la fois une soupape d’évacuation qu’un ancrage réaliste : si le personnage de Lil Rel Howery est ouvertement comique, il est avant tout profondément terre-à-terre, ne disant que ce que le spectateur se dit probablement devant son écran. Comme le disait Ricky Gervais : « C’est drôle parce que c’est vrai ».

Pour autant, et malgré tout le bruit autour du film, Get Out possède des limites cinématographiques assez visibles. Si le mixage sonore est phénoménal, aidé par une implacable bande originale signée Michael Abels, la mise en scène ou le montage impressionnent peu, hormis quelques jolis moments ci et là (l’omniprésent antagonisme blanc-noir, le plan circulaire de l’ouverture) compensés par d’autres éléments autrement plus basiques. Côté scénario, une majeure partie du final notamment semble trop mécanique dans son déroulé (l’ordre du bodycount final est particulièrement téléphoné) avec des ficelles grosses et déjà vues mille fois (la révélation au héros, façon deus ex machina), comme si toute l’originalité du film avait été siphonnée pendant la première partie du film et qu’il ne restait plus rien pour ces 30 dernières minutes. C’est d’autant plus dommage que la 1ere heure, justement, aurait gagné à être rabotée de 15 bonnes minutes, afin de tendre encore plus son atmosphère sur le fil du rasoir et offrir une expérience globale plus mémorable sur tous les tableaux.

Un dernier tiers convenu succède à une première partie formidablement anxiogène.

On pourra par contre féliciter le plus gros de la troupe d’acteurs, notamment les seconds rôles : Catherine Keener, Bradley Whitford, Marcus Henderson, LaKeith Stanfield, mais surtout Betty Gabriel sont impeccables dans des rôles pourtant propices à l’exagération ou la caricature. Si Daniel Kaluuya confirme les qualités vues en particulier dans Black Mirror, ce sont avant tout eux qui permettent au film de développer son ambiance paranoaico-pavillonaire façon Rosemary’s Baby et Les femmes de Stepford, références principales et assumées du film, mais aussi la banlieue aisée délirante du Society de Brian Yuzna. Seul Caleb Landry Jones semble définitivement hors sujet dans un rôle rappelant beaucoup trop ses prestations dans Antiviral ou Heaven Knows What et surtout trop prévisible pour être intéressant.

Au final, malgré ses limites cinématographiques évidentes, Get Out possède quoiqu’il en soit une acuité folle sur les problèmes socio-raciaux actuels et réussit plutôt bien leur intégration dans une atmosphère efficacement tendue et secouant les préjugés.

4

RÉALISATEUR :  Jordan Peele 
NATIONALITÉ : américaine 
GENRE : thriller 
AVEC : Daniel Kaluuya, Catherine Keener, Allison Williams
DURÉE : 1h44 
DISTRIBUTEUR : Universal International Pictures France 
SORTIE LE 3 mai 2017