Ryan J. Sloan s’est fendu d’un joli message au délégué de la Quinzaine des Cinéastes, que celui-ci a lu lors de sa présentation de sa sélection, rappelant à quel point pour certains cinéastes la nécessité et le désir de filmer étaient urgents et impérieux. Ce n’est pas peu dire que l’on sent de manière organique cette urgence et cette nécessité à chaque plan de Gazer. Un thriller étrange où les influences conjuguées de Cronenberg, Hitchcock ou Polanski n’empêchent nullement l’émergence d’une voix très personnelle, entre rêves et réalité, parmi les nuits d’insomnie et les jours de cauchemar.
Séparée de sa fille contre son gré, une jeune femme, Frankie, enchaîne les petits boulots tout en luttant contre un trouble mental dont elle ne connaît le nom, mais qui déforme sa perception du temps et de la réalité. À la réunion d’un groupe de parole qu’elle fréquente, elle accepte un deal mystérieux avec l’une des participantes, Paige Foster.
Un thriller étrange où les influences conjuguées de Cronenberg, Hitchcock ou Polanski n’empêchent nullement l’émergence d’une voix très personnelle, entre rêves et réalité, parmi les nuits d’insomnie et les jours de cauchemar.
Dès le début du film, le spectateur est embarqué par un style très original : la protagoniste se promène dans New York en écoutant des cassettes dont on entend la voix enregistrée qui lui prodigue des conseils comme « Concentre-toi« , « Décris ce que tu vois« . On imagine qu’il s’agit de conseils de développement personnel ou de stage pour un métier. La réalité est plus triste : Frankie est atteinte d’un trouble mental dégénératif qui limite ses capacités d’attention, à la manière du protagoniste de Memento de Christopher Nolan.
Suite au suicide de son mari Roger, dont les circonstances ne sont pas complètement élucidées, la garde de sa fille Cynthia lui a été retirée et a été confiée à sa belle-mère. Dans une situation économique précaire, elle enchaîne les petits boulots et se trouve à la limite de l’expulsion du logement miteux qu’elle loue. A l’extérieur, elle traîne dans les rues et le métro, en écoutant ses cassettes de conseils personnalisés. A l’intérieur, elle ronge son frein, observe la décrépitude de son plafond comme Barton Fink dans sa chambre d’hôtel et regarde avec curiosité les fenêtres des appartements d’en-face. Un soir, elle croit voir une agression de femme dans un des appartements en face du sien.
On reconnaît là la trame de Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, reprise également dans Body Double par Brian de Palma. La différence, c’est que Frankie est atteinte d’un trouble mental qui altère progressivement sa perception de la réalité, ce qui est exprimé par une dichotomie entre les tons neutres de la réalité et les tons rougeâtres de ses visions. Comme dans Fight Club, elle va faire la connaissance d’une personne qui va changer le cours de sa vie lors d’un groupe de parole, style réunion des Alcooliques Anonymes, en l’occurrence, la réunion des personnes souffrant du deuil de personnes suicidées. Ariana Mastroianni, sèche et nerveuse, incarne à la perfection ce personnage solitaire et inquiet.
Mais tout cela n’est qu’une immense machination où on l’a subtilement manipulée pour profiter justement de son handicap, un peu comme dans Vertigo où Scottie Ferguson est instrumentalisé pour faire croire au suicide de Madeleine. Toutes les citations cinéphiliques sont parfaitement intégrées dans l’intrigue, hormis peut-être une citation trop appuyée de Videodrome, montrant une cassette audio sortant de l’estomac du mari de Frankie. La fin, assez ouverte, préserve tout le mystère du film, même si cela semble présager l’accélération de la perte de facultés cognitives de Frankie.
Gazer de Ryan J, Sloan est ainsi une très bonne surprise du cinéma indépendant américain. La réussite est d’autant plus flagrante lorsque l’on sait que le film a été tourné par petits bouts, lorsque l’équipe était disponible et qu’il y avait assez d’argent, un peu comme Following d’un certain…Christopher Nolan.
RÉALISATEUR : Ryan J. Sloan NATIONALITÉ : américaine GENRE : thriller AVEC : Ariana Mastroianni, Jack Alberts, Renee Gagner DURÉE : 1h54 DISTRIBUTEUR : UFO distribution SORTIE LE Prochainement