Garçon chiffon : poupée de cire, poupée de son

On adore Nicolas Maury. La première fois que l’on a remarqué cette présence mystérieuse et étrange, cette diction précieuse et délicieusement affectée, c’était dans Belle Epine, le remarquable premier film de Rebecca Zlotowski. Nicolas Maury n’y occupait pourtant pas le premier rôle mais son charisme magnétique volait la vedette le temps de courtes scènes à ses partenaires. Depuis on a suivi attentivement son parcours, où entre les films de Yann Gonzalez (Les Rencontres d’après-minuitUn Couteau dans le cœur), de Riad Sattouf (Les Beaux GossesJacky au Royaume des filles), Perdrix d’Erwan Le Duc, Les Envoûtés de Pascal Bonitzer, il crevait à chaque fois l’écran, allant même jusqu’à sauver par sa seule présence certains films d’un naufrage annoncé. Nous avons eu pour lui les yeux de Chimène, extrêmement fier de son parcours, lorsqu’il est devenu une vedette populaire, connue de la France entière, à travers la série Dix pour Cent, créé par Dominique Besnehard et Fanny Herrero. Le tandem comique qu’il y forme chaque semaine avec l’hilarante Laure Calamy nous faisait sortir systématiquement de la grisaille télévisuelle, quelles que soient les réserves qu’il est possible d’émettre, côté réalisation et autres comédiens de cette série-phare du service public. Cette fois-ci, c’est son tour de donner une nouvelle version de son personnage en se mettant lui-même en scène dans son premier film Garçon Chiffon, très attendu et retenu dans la Sélection officielle Cannes 2020, étant donné la résonance de Nicolas Maury dans le cinéma d’aujourd’hui. 

Nicolas Maury, si drôle, tordant et irrésistible dans les films des autres, a choisi de montrer une autre face de sa personnalité dans le film qu’il a choisi de mettre en scène : le portrait d’un narcissique jaloux, dépressif et immature, le versant noir de sa personnalité. On dirait presque qu’il a choisi d’appliquer à la lettre la maxime de Marilyn Monroe, « si vous ne m’aimez pas dans mes pires moments, vous ne méritez pas de me connaître à mes meilleurs ».

Nicolas Maury a délibérément choisi une voie très autofictionnelle en écrivant et interprétant le rôle d’un acteur homosexuel au chômage, Jérémie, qui se trouve au milieu de forces contradictoires, dont la jalousie obsessionnelle envers son petit ami, le besoin d’être réconforté auprès de sa maman, suite au deuil de son père, son déficit de reconnaissance artistique, etc. Petit cœur sensible, il est appelé par sa mère son garçon chiffon, en comparaison aux poupées de chiffon, faciles à démanteler. 

Le film ne commence pas trop mal par une séquence assez proche d’un film de Tati ou de Suleiman, où Jérémie erre dans son quartier afin de trouver une réunion des Jaloux anonymes (jolie trouvaille). Malheureusement, dès la deuxième ou troisième séquence, le film finit par s’enliser dans des « jérémiades » de jaloux obsessionnel et de comédien légèrement parano. Nicolas Maury, si drôle, tordant et irrésistible dans les films des autres, a choisi de montrer une autre face de sa personnalité dans le film qu’il a choisi de mettre en scène : le portrait d’un narcissique jaloux, dépressif et immature, le versant noir de sa personnalité. On dirait presque qu’il a choisi d’appliquer à la lettre la maxime de Marilyn Monroe, « si vous ne m’aimez pas dans mes pires moments, vous ne méritez pas de me connaître à mes meilleurs« .  On ne rit donc plus à Garçon Chiffon, où son personnage devient quasiment insupportable de jalousie mauvaise et geignarde. On aura donc droit à tout de son parcours antérieur, Jérémie étant un acteur de trente ans, soit dix ans de moins que le Nicolas Maury actuel, comme s’il avait voulu filmer, garder un souvenir perpétuel du Nicolas Maury d’avant la réussite, qui existe toujours un peu en lui. De son imitation de Vanessa Paradis chantant Marilyn et John à sa tentation du suicide, Maury fictionnalise son existence.

Malheureusement, Garçon Chiffon souffre de longueurs particulièrement rédhibitoires pour un premier film où la plupart des jeunes metteurs en scène concentrent dans une durée réduite tout ce qui peut les intéresser sous une forme ou une autre. Garçon Chiffon fait ainsi 1 heure 48 et se traîne consciencieusement dans la description plus ou moins complaisante d’un gay à la limite de la caricature qui tente de percer dans une carrière artistique. Alors que Dix pour cent avait figé Nicolas Maury dans la figure de l’homosexuel extraverti, bavard et un tantinet gaffeur, Garçon Chiffon nous fait comprendre que cette face joviale et lumineuse a forcément pour contrepartie une face plus sombre et presque tragique. L’inconvénient de ce premier film réside surtout dans son absence de rythme (à ne pas confondre avec une lenteur étudiée) qui rend peu touchant l’esseulement de son personnage principal. A cette torpeur généralisée qui enveloppe progressivement ce film, échappe tout de même quelques scènes, des tentatives de comédie musicale à la manière de Jacques Demy ou Christophe Honoré, malheureusement dépourvues d’authentiques chanteurs, et une formidable séquence de dispute, avec sa meilleure compère, Laure Calamy, qui renoue avec la comédie slapstick. Nicolas Maury ne parvient pas à impressionner par une qualité sensible de mise en scène, un souci du cadre, et encore moins la création d’une atmosphère. C’est bien dommage pour Nicolas Maury, cet état de fait relevant autant de la faiblesse esthétique de la mise en scène, que de l’absence d’une réelle distance et d’une profonde réflexion sur son personnage public.     

Pour la fiche technique, il vous suffit de compléter les informations (il ne faut pas appuyer sur les boutons affichés et laisser le champ « Main title » et le titre du second cadre vide). Pour la note, merci d’uniquement modifier le chiffre (1 à 5).

2.5

RÉALISATEUR : Nicolas Maury
NATIONALITÉ : français
AVEC : Nicolas Maury, Nathalie Baye, Laure Calamy
GENRE : Comédie dramatique
DURÉE : 1h50
DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange
SORTIE LE 28 octobre 2020, reprise le 19 mai 2021