Futura : génération désenchantée ?

Réalisé à six mains par trois des réalisateurs contemporains les plus en vue du cinéma italien, Futura d’Alice Rohrwacher, Pietro Marcello et Francesco Munzi était assurément l’un des films les plus attendus de cette 53ème édition de la Quinzaine des Réalisateurs. Probablement l’un des longs métrages les plus durement impactés par le covid-19 au sein de cette sélection, le documentaire sur la jeunesse italienne souffre malheureusement de certains partis pris contre-productifs, trahissant l’intention des réalisateurs de se faire les porte-paroles d’une jeunesse sous-représentée.

Caméra à l’épaule, Alice Rohrwacher, Pietro Marcello et Francesco Munzi ont sillonné les routes d’Italie. De ville en ville, de Vérone à Rome en passant par Venise, des campagnes ligures aux canaux de Venise, les trois réalisateurs interrogent des adolescents sur leurs doutes, leurs espoirs, leurs désirs et leur avenir. Un portrait d’une génération entre naïveté infantile et crainte pour l’avenir, où ceux qui rêvent de devenir footballeurs donnent la réplique aux utopistes et aux jeunesses engagées contre l’injustice.

« Porté par des choix esthétiques trahissant la longue expérience des réalisateurs dans la fiction, Futura est un documentaire qui, se voulant le représentant des jeunes d’aujourd’hui, trahit leur voix au nom d’une esthétique passéiste qui neutralise les interrogations de ses sujets. Moins une illustration des doutes des générations présentes que des biais des générations passées, on ne peut que douter de l’intérêt futur de ce film, trop mis en scène pour constituer un document d’archives et trop décousu pour constituer une fiction agréable. »

Si les réalisateurs partaient d’une bonne intention, un certain nombre de leurs partis pris font de Futura un film contrasté, contre-productif dans sa forme et superficiel dans son fond. Nourrissant l’ambition de laisser le temps d’un long-métrage la libre parole aux jeunes, le choix de tourner le film sur pellicule a pour effet délétère de tirer les séquences filmées du côté de l’irréel et du temps passé. Comme muséifiés par le regard des réalisateurs et leur manière de mettre en scène leurs entretiens, les jeunes apparaissant à l’image ont comme l’air d’appartenir déjà à un autre temps, quand bien même les questions qu’ils se posent relèvent de l’actualité la plus urgente. Réduits à une image distante et poétique par un montage et un cadrage qui trahissent l’expérience des réalisateurs dans la fiction, la voix de la jeunesse apparaît comme feinte et lointaine, neutralisée par un regard adulte qui trahit ceux à qui le film est pourtant consacré.

Car malgré leur intention de bien faire, il est impossible de définir autrement l’intervention des réalisateurs que comme du paternalisme mal placé. Les questions posées, confondantes d’ambiguïté et d’imprécision, limitent les réponses des adolescents à des réactions abstraites, des réponses hésitantes et maladroites qui les confinent à leur statut d’enfant, perdant toute contenance face au regard d’un adulte. Le montage, lui, s’amuse à faire ressortir des traits saillants comme l’obsession des jeunes pour le football, mettant l’accent sur l’aspect naïf de ce désir plus que sur les motivations très pragmatiques qui peuvent motiver ce rêve – le désir de sortir de sa condition, de faire un métier qu’on aime… Dès qu’il est question d’ambitions politiques, les réalisateurs semblent disparaître et ne plus savoir que faire de leur caméra, choisissant cette fois de faire jouer la parole des uns contre les autres, les velléités les plus radicales contre les réactions les plus calmes et composées. Une opposition qui n’a au final aucune importance, puisque les réalisateurs décident à notre place lequel des deux camps a raison, illustrant les positions les plus radicales avec des images d’archives sanguinolentes comme pour décrédibiliser les plus impatients d’un changement politique. Placide et immobile, convenu et univoque, Futura est peut-être moins le portrait d’une nouvelle génération que le révélateur du regard d’une ancienne génération, incapable de brosser le portrait d’une jeunesse dynamique et active – lui préférant à la place une série d’images d’Épinal et d’images d’archives rêveuses et inoffensives.

Porté par des choix esthétiques trahissant la longue expérience des réalisateurs dans la fiction, Futura est un documentaire qui, se voulant le représentant des jeunes d’aujourd’hui, trahit leur voix au nom d’une esthétique passéiste qui neutralise les interrogations de ses sujets. Moins une illustration des doutes des générations présentes que des biais des générations passées, on ne peut que douter de l’intérêt futur de ce film, trop mis en scène pour constituer un document d’archives, trop décousu pour constituer une fiction plaisante et mémorable.

2.5

RÉALISATEUR : Alice Rohrwacher, Pietro Marcello, Francesco Munzi
NATIONALITÉ : Italienne
AVEC : 
GENRE : Documentaire
DURÉE : 1h45
DISTRIBUTEUR : 
SORTIE LE Prochainement