Nous n’avons guère évoqué Claude Lelouch dans nos colonnes. Avouons qu’il est difficile de se situer face à son oeuvre pléthorique de plus de 50 films qui comporte à parts presque égales des réussites et des ratages, des moments d’inspiration et des tunnels assez gênants. A 86 ans, âge ô combien respectable, Lelouch sort son 51ème film, Finalement, non pas mis en scène, mais mis en vie, comme l’indique le générique. On y retrouve toutes les caractéristiques de son cinéma : un optimisme contagieux, une focalisation sur les dialogues d’acteurs, une générosité de regard qu’on ne saurait prendre en défaut. On peut y constater aussi les mêmes travers constitutifs de son style cinématographique, inverses de ses qualités : un boy-scoutisme assez agaçant, un filmage qui valse entre le mouvement de caméra et le champ-contrechamp qui se prolonge,
Lassé de mentir, Lino, un avocat, se lance dans un voyage musical sur les routes de France. Il y croisera des représentants de la France entière, reprendra contact avec sa famille oubliée, se verra engagé pour défendre des prostituées…
Finalement est ainsi une sorte de film picaresque où rien ne fait réellement lien, une oeuvre faite de bric et de broc, où le bon côtoie l’anodin
La grande période de Lelouch comprend surtout les années 60 et 70. Il le sait, glissant des clins d’oeil dans Finalement à quelques-uns de ses films de référence, La Bonne année, L’Aventure, c’est l’aventure, en créant des liens familiaux entre les protagonistes de ces films et ceux de Finalement. Kubrick ou Spielberg admiraient d’ailleurs certains de ses films. Ce côté patchwork émaillé d’extraits de ces films donne l’impression d’un film best-of, où Lelouch semble récapituler et conclure son oeuvre.
Lelouch accentue cet aspect en reprenant le thème central de l’un des films-phares qui a donné l’un de ses plus beaux rôles à Jean-Paul Belmondo : Itinéraire d’un enfant gâté. Lino (clin d’oeil à l’un des acteurs fétiches de Lelouch) souffre de burn out et décide de partir sur les routes de France pour se retrouver. Autant dire que Lelouch, en dépit des années, n’a pas véritablement changé sur le fond : son cinéma est toujours guidé par la curiosité et la générosité envers les êtres humains, son attention aux acteurs (ses fameuses scènes filmées en champ-contrechamp en dialogues improvisés), son optimisme inébranlable. Quant aux scènes en champ-contrechamp dont la célèbre séquence entre Belmondo et Anconina semble l’acmé, Finalement en fournira encore deux ou trois exemples marquants, entre Kad Merad et respectivement François Morel, Françoise Gillet ou Sandrine Bonnaire. On retrouvera aussi dans Finalement son amour des chanteuses populaires, de Mireille Mathieu dans La Bonne année au joli minois de Barbara Pravi dans son nouveau film, en passant par Patricia Kaas dans Ladies and gentlemen…On s’étonnera aussi d’y croiser deux des actrices fétiches de Pialat, Elsa Zylberstein et Sandrine Bonnaire, preuve si besoin était, du grand amour de Lelouch pour les acteurs, quelle que soit leur famille d’origine. On y retrouvera aussi la regrettée Françoise Fabian pour sa dernière apparition au cinéma, bien des années après La Bonne année.
Sur le fond, Lelouch n’a pas changé. Sur la forme, il s’avère nettement moins inventif, se reposant un peu trop sur son amour de la chanson et des acteurs. Finalement est ainsi une sorte de film picaresque où rien ne fait réellement lien, une oeuvre faite de bric et de broc, où le bon côtoie l’anodin, où l’on peut entendre une plaidoirie généreuse et assez lunaire en faveur des escort-girls, Pourtant la générosité de regard permet de faire pardonner beaucoup de défauts narratifs. Passe dans Finalement la sensation prégnante que tout cela n’a guère d’importance, que derrière le cinéma, il y a surtout la vie et qu’il faut lui donner la priorité. C’est sans doute pour cela que ce nouveau film est indiqué « mis en vie » et non « mis en scène ». Il conclut ainsi Finalement par une jolie chanson interprétée par Barbara Pravi et Kad Merad, tout en annonçant un deuxième volet à ce mouvement. Il n’en a pas encore totalement fini, ce diable d’homme…
RÉALISATEUR : Claude Lelouch NATIONALITÉ : française GENRE : comédie dramatique AVEC : Kad Merad, Elsa Zylberstein, Michel Boujenah, Sandrine Bonnaire, Françoise Fabian, Barbara Pravi DURÉE : 2h07 DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport SORTIE LE 13 novembre 2024