Viggo Mortensen, bien que connu surtout comme acteur (Le Seigneur des anneaux, A History of Violence, Les Promesses de l’ombre, Green Book), est le type même d’artistes éclectiques et multicartes (poésie, peinture, photographie, musique) qu’on s’étonne rétrospectivement qu’il n’ait pas tenté l’aventure de la réalisation cinématographique bien des années auparavant. Il a fallu ainsi attendre les 60 ans de Viggo pour qu’il entreprenne de mettre en scène un film. A sa décharge, on rappellera que son éclosion en tant que vedette de cinéma a été relativement tardive. Certes, il avait déjà tourné avec Sean Penn, Gus Van Sant, Brian De Palma etc. dans les années 80-90 mais il n’est devenu une grande star qu’avec Le Seigneur des anneaux de Peter Jackson, presque malgré lui. Comme il n’hésite pas à le raconter, c’est la disparition de sa mère qui lui a fourni le déclic pour écrire et réaliser son tout premier projet cinématographique. Falling représente ainsi une œuvre sensible, digne et touchante, à l’image de Viggo, évoquant les souvenirs d’une vie, plus précisément celle de son père, une figure antagoniste contre laquelle cet acteur pudique et noble de cœur semble s’être défini et construit.
Par ce regard plein d’empathie et de bienveillance, Viggo Mortensen se montre en tant que metteur en scène à la hauteur de sa réputation en tant qu’acteur, digne, sobre et pudique dans ce beau film, Falling, en guise d’offrande de paix à son père disparu.
Dans Falling, Viggo Mortensen interprète le rôle de John, un pilote d’avion homosexuel, qui vit avec Eric, son compagnon et leur fille adoptive Monica. Son père Willis connaît des problèmes de santé physique et mentale qui remettent en cause la vie qu’il continue à mener dans une ferme isolée. John va tenter de lui faire quitter sa ferme, afin de lui apporter toute la protection qui serait souhaitable…
Même si David Cronenberg joue un furtif second rôle, celui du médecin de Willis, dans Falling, Viggo Mortensen ne semble aucunement s’être inspiré des grands metteurs en scène qu’il a pu croiser dans sa belle carrière, que ce soit Cronenberg, Peter Farrelly, Jane Campion, Ridley Scott, Gus Van Sant, Brian De Palma, Lisandro Alonso ou Matt Ross. Tout au plus, pourrait-on invoquer un léger cousinage, plus pour la thématique que pour le style, avec Sean Penn (The Indian Runner). Comme Sean Penn, Viggo Mortensen semble fasciné par les rapports de famille et ces êtres qu’on ne connaît jamais vraiment en totalité, en dépit des liens du sang qui nous unissent à eux. A travers Falling, il installe une confrontation houleuse entre un père qui semble posséder presque toutes les tares possibles et imaginables, se montrant tour à tour raciste, homophobe et misogyne. Il ne paraît pas s’être remis d’avoir donné naissance à un homosexuel. Pour lui, toute personne au monde semble se ranger dans deux catégories possibles, les « connards » ou les « salopes ». Lance Henriksen (eh oui, le fameux Bishop de Alien, le mythique Frank Black de Millenium) s’en donne à cœur joie dans cette caricature trumpiste qui ferait passer Kowalski de Gran Torino pour un enfant de cœur. Face à lui, Viggo Mortensen, volontairement en retrait, campe le fils fidèle et débordant d’amour qui essaie de transmettre à son père un peu de tolérance et de bienveillance. Symboliquement, on croirait assister à la confrontation entre un Républicain dernier modèle et un Démocrate doux et ouvert à la conciliation.
Pourtant, si Falling échappe finalement au déjà-vu, c’est davantage par son style que sa thématique assez convenue. En marge des explications musclées entre père et fils ou aux déjeuners de famille particulièrement tendus où Willis joue l’empêcheur de tourner en rond, Mortensen met en scène une vie parallèle qui éclot par flashes, faisant étinceler les éclats lumineux, les derniers feux d’une vie qui se termine. A travers ces illuminations qui nous font revivre fugacement la vie de Willis, on comprend implicitement qu’il n’a pas toujours été ce vieux ronchon, débordant de haine recuite et d’amertume froissée, qu’il a été jeune, débordant d’amour et d’espoir, avant de se refermer comme une huître vexée. Par ce regard plein d’empathie et de bienveillance, par cette mise en scène délicate de moments précieux (un déjeuner de famille traversé de souvenirs, une explication rageuse entre père et fils, etc.), Viggo Mortensen se montre en tant que metteur en scène à la hauteur de sa réputation en tant qu’acteur, digne, sobre et pudique dans ce beau film, Falling, en guise d’offrande de paix à son père disparu.