L' »Elevated horror » a le vent en poupe. Vous savez, ce sous-genre du film d’horreur apparu récemment qui se focalise sur des thèmes existentialistes (la mort, l’identité), expose une esthétique très travaillée, parfois méditative, véhicule parfois un message politique et/ou social, donc s’approprie les codes du cinéma d’horreur de manière très personnelle. Parmi ses plus brillants représentants, citons Ari Aster (Hérédité, Midsommar), Julia Ducournau (Grave, Titane), Jordan Peele (Get out, Us), ou encore Jennifer Kent (Mister Babadook). Comme on peut le remarquer, l’Elevated Horror peut mener à l’Oscar ou à la Palme d’or, ce qui explique que des cinéastes n’hésitent plus à se lancer, avec plus ou moins de réussite, dans ce genre pour se faire connaître. Après un réussi Barbares, Zach Cregger continue dans cette lignée en scénarisant et mettant en scène son deuxième film, Weapons, étrangement traduit par Evanouis par la distribution française. Il y adopte une technique de narration peu usitée dans le film d’horreur, celle des personnages-chapitres, comme si Robert Altman ou encore davantage William Faulkner scénarisait un film d’horreur.
Maybrook, en Pennsylvanie. Une nuit, à 02h17, tous les élèves de la classe de primaire de Mlle Gandy -à l’exception d’un- se sont réveillés, sont sortis de leurs lits, ont descendu l’escalier, ont ouvert la porte d’entrée de leurs maisons, ont couru dans l’obscurité… et ne sont jamais revenus.
Evanouis tient plutôt ses promesses d’Elevated horror. N’y manque qu’une dimension supplémentaire dans le travail du message sous-jacent, ainsi qu’une réelle portée émotionnelle
Le principe de départ est assez intrigant : sur Beware of Darkness de George Harrison, des enfants disparaissent en courant dans la nuit, belle scène quasiment onirique sur laquelle s’ouvre Evanouis. Plus intrigant encore s’avère être la technique de narration employée. Ce n’est pas seulement le film choral à la manière de Robert Altman, ce qui serait déjà fort original pour un film d’horreur, mais surtout les personnages-chapitres représentant à chaque fois le point de vue d’un protagoniste différent de l’histoire : la professeure de la classe disparue (Justine), le père d’un des enfants (Archer), le flic chargé de les rechercher (Paul), un drogué qui tombe par hasard sur le refuge des enfants (James), le directeur de l’école (Marcus), l’enfant rescapé de la classe (Alex). Certains cinéphiles pourront croire qu’il s’agit par ces narrations entrecroisées d’organiser une quête pirandellienne de la vérité, à la manière de Rashômon d’Akira Kurosawa. Or ce n’est pas du tout le cas car tous les récits confirment en fait la même version. Dans Evanouis, il s’agit plutôt de narrer par anticipation, en faisant intervenir des éléments qui interviendront à nouveau plus tôt ou plus tard dans les chapitres suivants, ce qui permettra de les éclairer rétrospectivement. C’est la narration à l’oeuvre dans Le Bruit et la Fureur de William Faulkner, ce type de narration étant souvent utilisée dans les mini-séries comme par exemple Esterno notte de Marco Bellochio.
Le scénario écrit par le réalisateur Zach Cregger est ainsi remarquablement maîtrisé, le tout fonctionnant par échos et rappels au sein des chapitres. Néanmoins, étant donné que l’ensemble est découpé en chapitres, l’intérêt fluctue en fonction des protagonistes et de leurs interprètes. Reconnaissons que l’intérêt bat son plein lors des deux premiers chapitres portés par Julie Garner (Justine, la professeure) et Josh Brolin (le père affligé), et qu’il bat sérieusement de l’aile lors des deux suivants, avant de reprendre lors des deux derniers. En institutrice qui perd le contrôle de sa vie, Julie Garner (The Americans, Ozark) y confirme tout son potentiel car elle aurait facilement pu porter tout le film entier.
Ce qui est plus gênant, c’est que le film part en quenouille à la fin et que malheureusement sa résolution s’avère bien plus banale et conventionnelle que les chapitres qui la préparent. Le souci, c’est que traitant beaucoup de thèmes, en vrac, le harcèlement et l’ostracisme subis injustement par Justine, le déficit de contrôle des parents, les abus et violences policières, la drogue et la désorientation de la jeunesse, etc., Zach Cregger n’en traite véritablement aucun, s’en remettant à un constat vague et peu précis, l’état calamiteux de l’Amérique. De plus, il est vraiment dommage de vouloir faire ce type de constat et de terminer par un climax grand-guignolesque, à base de vaudou et de sorcellerie, soit des ingrédients conventionnels dans ce type de film.
Pourtant, en raison de la qualité de l’interprétation (Julia Garner et Josh Brolin en tête), de l’écriture des chapitres entrecroisés, et d’une certaine élégance globale de la mise en scène (seulement cinq ou six jumpscares sur plus de deux heures de film), Evanouis tient plutôt ses promesses d’Elevated horror. N’y manque qu’une dimension supplémentaire dans le travail du message sous-jacent, ainsi qu’une réelle portée émotionnelle, car en l’occurrence, la forme dépasse ici largement le fond.
RÉALISATEUR : Zach Cregger NATIONALITÉ : américaine GENRE : horreur, épouvante, thriller AVEC : Julia Garner, Josh Brolin, Alden Ehrenreich, Benedict Wong, Austin Abrams, Amy Madigan DURÉE : 2h08 DISTRIBUTEUR : Warner Bros France SORTIE LE 6 août 2025