Entretien avec Lise Akoka et Romane Gueret, réalisatrice des Pires : un hommage au casting sauvage

Dans Les Pires, Lise Akoka et Romane Gueret s’interrogent sur l’intérêt empreint de curiosité du monde du cinéma relativement aux milieux sociaux défavorisés. Ce long métrage s’inscrit dans la prolongation du court métrage des mêmes réalisatrices, Chasse royale dans lequel elles questionnaient déjà la relation entre une directrice de casting et une actrice amatrice. La réalisation de ce film a ajouté une quantité de questions dans l’esprit des réalisatrices, par rapport aux limites des tournages avec des enfants non-professionnels.

Elles rendent compte dans ce film du rapport au jeu des enfants en montrant de quelle manière cette activité va à la fois les libérer et leur poser des difficultés lorsqu’elle s’immisce dans leur vie en faisant écho à leurs histoires personnelles. Ce long métrage se présente donc comme une suite à Chasse royale, cette fois-ci en reprenant à partir de la suite de la la rencontre, là où elle s’était arrêtée avant le tournage dans Chasse royale.

Le film questionne avec une indéniable profondeur l’origine de cette fascination récurrente du monde du cinéma pour les milieux populaires. La volonté des réalisatrices d’approfondir cette thématique est issue d’une sensibilité à la fois politique, personnelle et historique par rapport à leurs parcours de vie. Le fossé social qui existe entre l’ équipe de cinéma qui joue dans le film, construit sous forme de mise en abyme du tournage d’un film dans le film, et ces enfants n’est pour autant pas l’unique angle d’approche. Ce qui intéresse Lise et Romane, c’est le prisme de l’enfance accidentée et blessée, et par conséquent des questions qui dépassent largement celles de déterminismes sociaux et de politiques de classe.

Le film interroge donc sur l’approche utilisée lorsqu’on traite de ces sujets. L’interrogation porte sur la représentativité qui est faite de ces milieux-là, et non sur la représentation en elle-même. Ainsi l’idée n’est pas de questionner le fait de montrer une certaine réalité sociale, mais plus exactement la manière dont les réalisateurs procèdent.

Une scène importante du film est ainsi celle qui représentent des filles discutant au bar. Cette scène donne la parole à des gens qui ont peur d’évoquer ces sujets et qui craignent la manière dont leur quartier est vu et représenté dans la mesure où cela les enferme dans des stéréotypes. Mettre en lumière ces enfants et les représenter dans un milieu réaliste est le procédé conventionnel des équipes de tournage alors que les personnes vivant dans ces quartiers travaillent socialement à rendre leur quartier meilleur et moins pauvre.

Les Pires représentent ainsi un hommage au casting sauvage et au cinéma social réaliste qui va chercher, découvrir et faire éclore des artistes qui ne pensaient pas en être. Les Pires montrent les difficultés de la vie inscrites à-même sur les visages des enfants, ainsi que cette vérité qu’il est quasiment impossible de trouver sinon par le casting sauvage.

Sur le tournage du film, les séquences bénéficient toutes de chorégraphies et de répétitions. Ainsi tout est maîtrisé à l’avance, afin de ne pas se confronter au moment du tournage au stress de l’imprévu. Malgré cette préparation, certaines scènes ont été indéniablement difficiles à jouer dans la mesure où les enfants vont convoquer des émotions qui viennent de loin. Néanmoins ce type de scènes a à chaque fois été préparé avec les réalisatrices, bien en amont ; c’est donc le résultat d’un travail collaboratif très poussé mais qui porte ses fruits à l’écran. Il existe donc une nécessité de travailler de manière très cadrée avant le tournage, avec ces acteurs non professionnels. Mais les enfants parviennent la plupart du temps lors des moments difficiles à se servir de leurs émotions pour les mettre au profit du jeu.

Sans tomber dans le politiquement correct, lorsqu’on touche à de la matière aussi fragile que l’existence et la sensibilité de ces enfants, il existe des choses qui sont dites ou faites et peuvent outrepasser sans mauvaises intentions certaines limites. Il est alors possible de se questionner sur les impacts positif comme négatif que ces comportements pourront avoir sur l’enfant à court, moyen et long terme.

Les Pires dresse le portrait d’un réalisateur qui va très loin pour obtenir une certaine « performance » de la part des enfants. Se pose donc alors la question des limites de ce qui peut être ou non demandé et attendu d’un acteur, qu’il soit professionnel ou pas. Lise Akoka et Romane Gueret considèrent ce metteur en scène comme un personnage complexe, qui se complait dans une certaine ambivalence. Pour arriver à certains résultats précis, il est tenu de frôler certaines limites, sans que cela fasse de lui un homme égoïste, uniquement mû par l’amour de l’art. Sans tomber dans le politiquement correct, lorsqu’on touche à de la matière aussi fragile que l’existence et la sensibilité de ces enfants, il existe des choses qui sont dites ou faites et peuvent outrepasser sans mauvaises intentions certaines limites. Il est alors possible de se questionner sur les impacts positif comme négatif que ces comportements pourront avoir sur l’enfant à court, moyen et long terme. C’est justement tout l’intérêt de la réflexion du film et ce que le film questionne en profondeur, et qui a amené Lise et Romane à mettre en oeuvre ce projet.

Les réalisatrices, désormais lancées dans leur duo, ne s’arrêteront pas en si bon chemin. Ainsi, elles commencent tout juste l’écriture de leur prochain long métrage fondé sur leur série Tu préfères, disponible sur Arte.