Entretien avec Christophe Gans : « Le Pacte des Loups n’est pas à moi mais à ceux qui l’ont aimé. »

« Ce film n’est pas à moi mais à ceux qui l’ont aimé. », livre Christophe Gans à propos du Pacte des Loups, film à travers lequel il tente de réconcilier les cinémas de genre (aventure, horreur-épouvante, arts martiaux) tout en dressant son autoportrait de cinéphile. Nous avons eu le privilège de rencontrer le réalisateur pour évoquer ce film culte et sa version restaurée, présentée le 19 mai au Festival de Cannes.

La question de la restauration de ce film sorti en 2001 en 35 mm se pose inéluctablement : comment Christophe Gans a-t-il procédé ? En 2001, Le Pacte des Loups a été le premier film étalonné numériquement en France. A l’époque, cette technique était nouvelle et très lourde. En effet, le film se présentait comme monstrueux avec ses 3000 cuts de montage. Christophe Gans a ainsi toujours eu peur de produire une copie HD du film et ne l’a donc jamais fait. Par conséquent, il existe un immense différentiel technique entre la copie SD et le 4K aujourd’hui, étant donné qu’il n’y a jamais eu d’élément intermédiaire avec une copie HD du film. Le réalisateur et son équipe ne sont pas partis de l’élément numérique de l’époque mais du négatif original qu’ils ont remonté intégralement. Christophe Gans précise la chance qu’ils ont eue : « le négatif était magnifique, aucun plan n’était à rattraper« .

Le réalisateur met un point d’honneur à souligner qu’ils n’ont pas touché au film, ni même as essayé de l’arranger car « celui-ci n’est pas à [lui] mais aux gens qui l’ont aimé ». Christophe Gans se présente humblement comme « le mec qui l’a fait », et rien d’autre. La question se pose alors de savoir si restaurer le film n’entraîne pas la possibilité de décevoir les spectateurs. Pour Christophe Gans, cette interrogation pose un problème philosophique important. En effet, le réalisateur est avant tout un cinéphile passionné qui ne supporte pas que l’on touche aux films qu’il a lui-même aimés. Son exemple le plus frappant est le premier Star Wars de 1976. « Ce film avait un charme inouï, c’était une œuvre d’une pure innocence et d’une naïveté sans fin, ce qui a été totalement perdu dans les nouvelles versions. Aujourd’hui, Star Wars n’est plus qu’un patchwork délirant entre l’œuvre de 1976 et des éléments faits et refaits couvrant des parties du film. » affirme-t-il. Selon Christophe Gans, cinéphile engagé, les films existent surtout à travers le regard des spectateurs. Ainsi, Le Pacte des Loups a marché à sa sortie, engendrant un succès considérable ; pourtant le réalisateur n’y a pas touché. Il admet même qu’il n’aurait certainement pas fait aujourd’hui le film comme il l’a fait à l’époque. Néanmoins pour rien au monde il ne se substituerait à l’amour que les gens ont porté au film, et cela pour une raison simple : « on ne peut pas demander aux gens qui ont aimé un film de subir les aléas du réalisateur. La version restaurée est une simple transposition du film original sur un nouveau support. » En tant que cinéphile, c’est une question vitale pour lui de défendre le fait que le film n’ait pas été modifié.

Le réalisateur est avant tout un cinéphile passionné qui ne supporte pas que l’on touche aux films qu’il a lui-même aimés.

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Son profil de cinéphile est prépondérant dans son discours sur la version restaurée du Pacte des Loups. En effet au-delà du fait de ne pas modifier un film que les spectateurs ont aimé, Christophe Gans fait le constat de l’évolution du regard des spectateurs sur son film : « les films sont amenés à suivre les modes et les changements de vie de chaque époque. Il existe des films qui disparaissent momentanément et qui aujourd’hui réapparaissent. On ne sait pas comment le film va vieillir même après notre mort. » Ainsi la façon dont chaque génération de spectateurs en parle s’avère différente : à l’époque où Le Pacte des Loups est sorti, l’énormité du pari a surtout été acclamée. « Des retours très bons mais très superficiels » déclare-t-il lui-même. Aujourd’hui, la réception du film s’est montrée très différente. Lors de la première projection au Festival de Cannes, Christophe Gans a été touché de voir des jeunes le remercier d’avoir évoqué les questions du racisme, de la préservation de la nature ou encore de la cause animale dans son film. Ces problématiques ont toujours été présentes dans Le Pacte des Loups puisqu’il est resté inchangé depuis sa première version, mais les spectateurs n’en parlaient pas à l’époque car ce n’est pas ce qu’ils en retiraient : « Ils ne parlaient que du kung-fu ». S’il peut le dire aujourd’hui avec un peu de tristesse, Christophe Gans accepte pleinement cet état de fait dans la mesure où le film a plu et qu’il n’appartient qu’au spectateur de connaître les raisons de son plaisir. Mais aujourd’hui, justice a sans doute été rendue. Le film est enfin traité de manière plus équitable. En effet la somptuosité et l’aspect spectaculaire du film ne masquent plus la vision personnelle de Christophe Gans : l’Indien Mani est ainsi le représentant de son âme et de ses valeurs, ce qui en fait un personnage absolument central dans la signification et la portée du Pacte des Loups. Par conséquent, on ne peut que se réjouir avec Christophe Gans de ce nouveau regard accordé à ce film à succès. Malgré cette plus-value inespérée, le réalisateur s’étonne des questions de réappropriation culturelle ou encore de sexisme qui seraient présents dans le film, dues aux peintures indiennes que le héros porte à la fin du film. Néanmoins, « c’est cela aussi vivre avec son temps, dans le wokisme, et accepter que son film c’est avant tout le film de ceux qui l’aiment« , comme il le dit si bien.

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Au-delà de la simple expression artistique, il y a également parfois quelqu’un qui a voulu partager ses valeurs.  » C’est ce qu’aime Christophe Gans en tant que cinéphile et ce qu’il a essayé de reproduire pour les spectateurs de son propre film, Le Pacte des Loups : qu’il paraisse évident qu’il a été réalisé par un être vivant, et non un robot sans âme.

Le Pacte des Loups pose de façon incontournable la question du cinéma de genre. Le film ayant été un succès commercial et un film culte, en particulier aux États-Unis et en Asie, il a sans doute été précurseur en imposant un film de genre dans l’horizon du cinéma français. Christophe Gans l’était déjà dans la revue Starfix lorsqu’il en était le rédacteur en chef, en défendant des cinéastes souvent dénigrés : « « David Cronenberg ou Dario Argento, parfois vilipendés dans les années 70 et 80, enfin célébrés dans les festivals. » En 1982, Starfix a été la première revue à prendre systématiquement la défense de cinéastes mésestimés à l’époque, comme Sam Raimi, George Romero ou encore David Cronenberg. Avec lucidité, Il a anticipé la considération critique dont ils ont bénéficié par la suite. Mais c’est bien davantage dans la revue HK qu’il a occupé un rôle important en imposant à travers celle-ci un certain nombre de genres divers et variés dont le cinéma de Hong-Kong. HK a également diffusé des films, ce qui lui a permis d’imposer véritablement des noms, bien plus qu’il ne le faisait via Starfix. Christophe Gans indique que sa carrière au cinéma a pu s’imposer grâce au succès de Crying Freeman, son premier film, accréditant son hypothèse qu’il était possible de faire des films avec des personnes de couleur de peau différente.

Or qu’en est-il aujourd’hui du cinéma de genre en France ? Le Pacte des Loups sortant en version restaurée, on peut se demander si l’industrie du cinéma de genre en France va suivre. Face à cette question, Christophe Gans est assez catégorique : le cinéma français n’est pas fait pour le cinéma de genre. Pour lui, cela a marché, mais il reste une exception. Dans n’importe quel autre pays, un succès tel que celui qu’a connu Le Pacte des Loups aurait entrainé une série de films, de copies, de tentatives similaires. Or, ce qui est, selon lui, « terrible dans l’histoire de l’industrie du cinéma français c’est que les opportunités ne sont pas saisies ». Les tentatives de films fantastiques français proviennent du cinéma d’auteur, de festival plutôt que du cinéma grand public. Ce type de films ne peut être exporté qu’à travers les festivals. Le cinéma français n’a pas envie du cinéma de genre, car il s’avère compliqué à faire, Le Pacte des Loups en étant l’archétype. Comme le dit le réalisateur lui-même, « il vaut mieux faire un film portant sur un barbecue autour d’une piscine que Le Pacte des Loups. Aujourd’hui, de nombreux producteurs ne sont plus que des passe-plats entre la banque, l’éventuel distributeur et les chaines de télé, tout en prenant une commission au passage. Le Pacte des Loups c’était une volonté qui dépassait cela. Or, le plus gros problème aujourd’hui est que si personne ne veut de ce cinéma, il n’existe pas, car le cinéma n’existe que par ses spectateurs« , comme le redit Christophe Gans.

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Ce qui est certain, c’est que Christophe Gans demeure un éternel amoureux du cinéma de genre. Pour lui, « le cinéma de genre est un pot commun, un banquet, tout le monde regarde et décide ce qu’il prend. Le Pacte des Loups est une façon de mettre dans ce pot commun. Dans le cinéma de genre, on n’a pas peur d’être copié car on ne garde pas sa création pour soi.  Il avoue lui-même sans une once de honte qu’il s’est inconsciemment inspiré d’autres films. Mais lorsqu’il le fait, il n’y pense pas, ce n’est qu’a posteriori lorsqu’il regarde ses films qu’il se rend compte qu’il s’est inconsciemment inspiré d’une autre œuvre. Mais sur le moment, cela lui a semblé évident. Dans son film, il a spontanément mis des choses qu’il a aimées, qu’il a senties, qu’il a vues, lues, auxquelles il a joué et qui pour lui fonctionnent dans le cadre du cinéma. Ce qui fait l’originalité du film, c’est ce qu’il en a fait. Le film est similaire à une empreinte digitale : on identifie sans difficulté qui l’a fait, ce à quoi il croit, presque pour qui il vote. Luc Besson a dit du Pacte des Loups qu’il s’agissait d’un film de boyscout et Christophe Gans est parfaitement d’accord avec cette définition. En voyant Le Pacte des Loups, il est possible de déceler que Christophe Gans aime les animaux, déteste le racisme et le fascisme, et il ne peut qu’espérer que dans 50 ans on continuera à percevoir cela dans son film.

Ainsi, ce qui ressort de notre entretien avec Christophe Gans et de sa philosophie de cinéphile réalisateur, c’est que la passion qu’il porte au cinéma est profondément liée à son désir de parvenir à déceler la personnalité du metteur en scène derrière un film : « dans chaque film, il y a toujours quelqu’un qui a essayé de s’exprimer à travers sa réalisation, et cela même lorsque le film n’est pas bon. Au-delà de la simple expression artistique, il y a également parfois quelqu’un qui a voulu partager ses valeurs.  » C’est ce qu’aime Christophe Gans en tant que cinéphile et ce qu’il a essayé de reproduire pour les spectateurs de son propre film, Le Pacte des Loups : qu’il paraisse évident qu’il a été réalisé par un être vivant, et non un robot sans âme.

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