Sortie le 28 juin 2022 en DVD / Blu-ray chez Pyramide Vidéo.
En quête, pour sûr Thierry de Peretti l’est… de secrets et mensonges…
On peut bien commencer par les aspects « techniques » tant ils sont révélateurs du fond et de l’intention du cinéaste de ne pas en rester à un film de drogue, à un thriller politique ou journalistique sur les grands trafics de l’État lui-même. Ainsi, le film (adapté de l’ouvrage L’Infiltré d’Hubert Avoine et Emmanuel Fansten) commence en plein jour dans une villa de Marbella en 2012, un portable est abandonné, pour se finir en pleine nuit sur les routes de Paris, des lumières s’éteignent, en plongée, et une caméra qui, dans les deux cas, s’enfonce, troublante, à la manière d’une disparition (de drogue comme des tonnes ont bien été subtilisées) en nous faisant pénétrer dans des mystères pourtant impénétrés, impénétrables – ce, malgré une justice qui aurait fait son job, ce, malgré une justice parfois aussi corrompue que sa police.
Enquête sur un scandale d’État, comme son titre l’indique, dénonce la corruption des institutions publiques et politiques. C’est aussi le portrait d’un journaliste dans son journal, auprès de ses équipes, et une réflexion sur des valeurs : légitimité, loyauté, légalité, manipulation parfois jusqu’à instiller un doute proche de la folie.
Clair et obscur donc pour en percer les mystères dans l’image (et du jeu des acteurs), les plans, longs, immenses, séquences et travellings impressionnants, sont là pour nous dire la complexité comme la mobilité pour ne pas dire la mouvance, dans l’usage du 1.33 carré. Ici ce sont l’esprit et la lettre qui sont présents pour nous faire aller du côté de l’intériorité des personnages d’un côté, tout en nous laissant à distance : c’est bien là une réflexion sur la fonction de l’image vis-à-vis du réel, et du cinéma qui, s’il se base sur une réalité n’omet pas de se jouer de la fiction. En découlent la maîtrise et l’expertise d’un cinéaste, à réfléchir sur le genre lui-même. Expertise donc, investigation, doute, écriture, telles seront les activités (de par sa fonction) de Stéphane Vilner, journaliste à Libération (Pio Marmaï), personnage inspiré d’Emmanuel Fansten, devenu un proche d’Hubert Avoine, l’indic, (interprété par l’excellent Roschdy Zem), prêt au combat contre la République et ses méfaits, malgré sa part, et, contre Jacques Billard, commissaire de l’Office central de la répression du trafic (Vincent Lindon représentant le vrai François Thierry), corrompu, comme deux des magistrates qui l’ont couvert (dont une interprétée par Valeria Bruni-Tedeschi). Pour partager ces petits tableaux entre amis, Thierry de Peretti utilise la steadycam, stabilisateur des mouvements physiques ou intérieurs des personnages, jouant sur leurs émotions gardées, pour nous faire garder les pieds sur terre vis-à-vis d’une réalité plutôt hallucinante, et pourtant véridique, même si les premières images et leur texte précisent qu’il s’agit d’une fiction…
Qui est qui ? Qui fait quoi ? Pour quels intérêts communs ou individuels ? Enquête sur un scandale d’État, comme son titre l’indique, dénonce la corruption des institutions publiques et politiques. C’est aussi le portrait d’un journaliste dans son journal, auprès de ses équipes, et une réflexion sur des valeurs : légitimité, loyauté, légalité, manipulation parfois jusqu’à instiller un doute proche de la folie. Comment faire valoir le (vrai) pouvoir des médias et de ceux qui souhaitent manipuler l’information au profit des trafics, ici de drogues, et inversement à la lutte contre ceux-ci, jusqu’au terrorisme, au profit de chiffres d’un ministère de l’Intérieur ? Comment faire émerger une vérité, comment changer un système ? Ne pas craindre ceux qui sont censés protéger, ne pas craindre la violence imminente qui écoulera d’un scoop furieux… Courage, cours rage…
Bien que le récit s’attaque aux institutions et à ses milieux liés et divers (justice, police, journalisme, malfrats), c’est par le biais d’un trio de personnages que le tableau prend peu à peu en puissance : Hubert, l’infiltré – Jacques le commissaire – Stéphane le journaliste, dans non pas un corps-à-corps mais dans un esprit à esprit, à celui qui convaincra le plus. Le cinéaste porte ainsi une attention très particulière aux mots dits (via des dialogues au cordeau), aux gestes et aux attitudes de personnages en proie avec leurs démons et les démons du système dans lequel ils se trouvent, et même s’ils voulaient en sortir, comme c’est le cas d’Hubert. Les femmes ne sont pas en reste, dans leur im.présence, journaliste, magistrate, amoureuse, vues de loin, mais en.cadrantes, assumant aussi des responsabilités publique ou privée : elles sont.
Le film nous fait aussi voyager du 16e arrondissement parisien aux plages espagnoles de la Costa del Sol – et dans l’histoire en évoquant les activités de l’ETA en accord avec les douanes françaises – par où arrivent des tonnes de cannabis par zodiacs avant d’atterrir dans de luxueuses villas, et ? En 2016, le journal Libération avait titré sa Une « Révélations sur un trafic d’État » et révélé les pratiques de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants avant qu’un livre naisse. On voit comment les journalistes, entre eux, travaillent au sein d’un journal, ou comment ils se tirent la bourre autour d’un scoop assumé ou inquiétant. Évidemment, à l’heure de l’ultra-médiatisation de phénomènes politiques ou sanitaires graves, le film tombe à pic : mensonge ou vérité, solitude ou solidarité, buzz ou justesse, ces questions sont abordées.
Que ce soit à travers des scènes « intimistes » lors des échanges entre l’infiltré et le journaliste ou le commissaire, de ceux au sein du comité de rédaction ; que ce soit lors des scènes judiciaires qui répondent aux scènes de trafic où chaque personnage, même le plus inconnu semble important (dans les hôtels, restaurants ou villas), l’image offre une unité de ton malgré les changements d’ambiance, que le rôle prépondérant de la bande originale (musiques, sons prompts à nous mettre en tension) alimente. Le film est en tension, de façon mimétique à celle ressentie par les personnages : quand Jacques minaude de façon très professionnelle pour convaincre tous ceux qu’il utilise, Hubert maîtrise sa rancune et sa violence d’en avoir fait partie, parce que Stéphane doit comprendre. C’est à partir de Roschdy Zem que l’ambiance générale du film se met en place, ambiance propre à mettre mal à l’aise un spectateur à qui l’on ne demande pas de faire justice (lui-même). Là est l’extrême qualité de l’œuvre : faire percevoir, parfois ressentir, faire réfléchir, parfois déduire, mais jamais en didactisme, toujours sur le film, celui d’une image qui éprouve et telle qu’on l’attend au cinéma. Malgré un rythme parfois trop étiré, notamment lors des scènes festives (à révéler une autre forme d’humanité), cela prend. Humanité ou monstruosité, de l’individuel au collectif, c’est ce que le film interroge dans le même temps qu’il appelle à cette forme de courage qui se perd, de la part de ceux que l’on devrait considérer comme des modèles (au sein d’un État), de la part de ceux qui tentent de faire bouger des lignes. Garder le cap, c’est ce que font, à leur manière différente, les personnages du film dans le processus politique (et devenu clinique) dans lequel nous sommes tous pris – information, décision, action, et dans quel sens (?) –, dans le processus humain (et devenu inique) qui doit pourtant tendre vers une véritable lutte. Bravo.
RÉALISATEUR : Thierry de Peretti NATIONALITÉ : française AVEC : Roschdy Zem, Pio Marmaï, Vincent Lindon GENRE : Biopic, drame, thriller. DURÉE : 2h03 DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution SORTIE LE 9 février 2022