Ennio : l’esprit de la musique

De l’extérieur, Ennio Morricone ressemble à un parfait bureaucrate, crane dégarni, petites lunettes, costume cravate strict, très éloigné de l’apparence bohème et échevelée que certains associent en cliché aux artistes, comme par exemple à un Tim Burton. Pourtant il suffit de l’entendre parler de musique pour qu’une sensibilité à vif affleure et que les larmes lui montent aux yeux, toute cette sensibilité que l’on retrouve avec bonheur dans ses oeuvres qui couvrent plus de cinquante ans de musique. C’est tout le projet simplicissime de Ennio de Giusieppe Tornatore (Cinema Paradiso, Malena) : écouter Ennio Morricone nous raconter sa vie, comme s’il se trouvait dans notre salon, drôle et émouvant, distillant des anecdotes sur ses rencontres avec des grands metteurs en scène (Sergio Leone, Terrence Malick, Dario Argento, Brian De Palma, Quentin Tarantino, etc.), nous expliquant en professeur idéal de musique comment il a composé tant de bandes originales de film inoubliables. Une masterclasse immanquable auprès de l’un des plus grands musiciens de film.

Trompettiste à l’origine, Ennio Morricone n’était absolument pas prédestiné à devenir le compositeur de musiques de film le plus connu de l’histoire du cinéma. Il s’est pourtant spécialisé en composition, instrumentation et direction, devant ses camarades qui voyaient souvent d’un mauvais oeil ce musicien sorti de l’orchestre,

Il est fort probable que la musique d’Ennio Morricone lui survivra très longtemps comme un témoignage de la pure émotion que l’on a pu transmettre aux êtres humains.

Tourné comme un documentaire classique, alternant diverses interviews, Ennio a pourtant la caractéristique d’intégrer en fil rouge les confessions d’Ennio Morricone sur le canapé de son salon, où il se livre comme jamais, sur son parcours, ses rencontres, ses compositions. Cette interview représente un trésor précieux pour tous les cinéphiles et mélomanes, qualités qui se confondent souvent. Tournée avant sa mort survenue en 2020, elle prend donc une tournure testamentaire, au même titre que son formidable recueil d’entretiens, Ma musique, ma vie, publié en 2018.

Au gré de sa vie, on comprendra que le petit Ennio a su tirer parti d’un incroyable désir de revanche sociale. Méprisé par ses camarades qui appartenaient tous à des sphères bien plus aisées, il a su travailler dix fois plus que les autres, pour finalement s’imposer comme le meilleur à la sortie de son école de musique. Ennio Morricone était un immense travailleur, ayant signé plus de 500 musiques de film tout au long de sa carrière. On notera aussi l’importance cruciale de son épouse Maria, l’amour de sa vie, à qui il a dédié toutes ses récompenses, qui a protégé son talent de toutes les sollicitations importunes et su construire avec lui un bonheur à l’abri de toutes les tentations.

Dans Ennio, deux lignes se superposeront au sens musical : le suspense dramatique sur le sort réservé à ses diverses candidatures à l’Oscar de la meilleure musique de film (six nominations au total) ; la schizophrénie assumée entre ses compositions de musique savante, « absolue », et ses bandes originales de film, plus populaires. A la fin, les deux ont fini par déteindre l’une sur l’autre et à se mélanger. Le grand apport d’Ennio Morricone est d’avoir su instiller des éléments de sophistication propres à la musique savante au sein de la musique de film. La manière dont il raconte comment il a composé les bandes originales du Clan des Siciliens, d’Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon ou de Mission relève de la masterclasse idéale pour compositeurs de musique de film, voire de musique tout court.

Ennio égrène ses souvenirs en évoquant ses rencontres privilégiées : Sergio Leone, son ancien camarade d’école primaire, qui faisait jouer ses morceaux sur son plateau de tournage (on pousse un soupir de soulagement en apprenant que le thème de Deborah a failli appartenir à la B.O. d’Un Amour infini de Zeffirelli, ce qui aurait représenté une immense perte pour le cinéma, celle d’Il était une fois en Amérique étant l’une des plus belles jamais composées), Terrence Malick (le metteur en scène dont Ennio s’est senti le plus proche, avec qui il jouait aux échecs, en gagnant souvent), Brian De Palma (qui a reconnu son apport dans la fameuse séquence du berceau dans l’escalier des Incorruptibles), Oliver Stone qui voulait une bande originale à la manière des premiers westerns de Sergio Leone, et….Stanley Kubrick qui devait travailler avec lui sur la bande originale d’Orange mécanique, collaboration avortée en raison de la jalousie possessive de Leone.

Au cours du film, on verra un certain nombre de ses collègues rendre hommage à Ennio Morricone et à son style lyrique et inimitable : John Williams, Hans Zimmer, Quincy Jones, etc. Des fans inattendus qui n’ont pourtant jamais travaillé avec Morricone, se font également connaître : Bruce Springsteen, Wong Kar-wai, James Hetfield de Metallica…Tous s’accordent à dire que l’esprit de la musique s’est incarné dans Ennio Morricone. Après avoir vu Ennio, il est difficile de prétendre le contraire. Il est rare de pouvoir observer une personne autant habitée par la passion de la musique. Il est même fort probable que la musique d’Ennio Morricone lui survivra très longtemps comme un témoignage de la pure émotion que l’on a pu transmettre aux êtres humains. Si vous aimez le cinéma et la musique, il serait incompréhensible de manquer ce film.

4.5

RÉALISATEUR :  Giuseppe Tornatore
NATIONALITÉ : italienne
AVEC : Ennio Morricone, Clint Eastwood, Terrence Malick, Dario Argento, John Williams, Hans Zimmer
GENRE : Documentaire 
DURÉE : 2h36
DISTRIBUTEUR : Le Pacte
SORTIE LE 6 juillet 2022