Emily : une Brontë, ça va, trois, bonjour les dégâts!

On peut rêver indéfiniment sur la silhouette romantique d’Emily Brontë perdue dans la lande britannique. Autrice d’un roman unique, Les Hauts de Hurlevent, chef-d’oeuvre instantané de la littérature universelle, maintes fois adapté au cinéma et qui a même eu droit à sa chanson fétiche, aussi géniale que le livre, signée par une certaine Kate Bush, Emily Brontë peut être le réceptacle d’innombrables fantasmes. Car cette fois-ci, il s’agit d’elle et non pas de son roman visité avec plus ou moins de bonheur par William Wyler, Luis Buñuel, Jacques Rivette, Andrea Arnold. Comment une jeune fille qui n’aurait rien connu dans sa vie a-t-elle pu écrire un roman aussi troublant et déstabilisant, passionné et illuminé? Comment expliquer le génie littéraire? C’est en filigrane le beau sujet d’Emily, le film écrit et réalisé par Frances O’Connor qui aurait pu donner un film passionnant. Il faut malheureusement déplorer que de ces prémices prometteurs, il n’en est sorti qu’une oeuvre platement illustrative souffrant de multiples difficultés.

Aussi énigmatique que provocatrice, Emily Brontë demeure l’une des autrices les plus célèbres au monde. Emily imagine le parcours initiatique de cette jeune femme rebelle et marginale, qui la mènera à écrire son chef-d’œuvre Les Hauts de Hurlevent. Une ode à l’exaltation, à la différence et à la féminité.

A la question, comment Emily Brontë est-elle parvenue à délivrer un aussi grand roman que Les Hauts de HurleventEmily apporte une réponse scolaire et plus que convenue.

Frances O’Connor, parfois croisée comme actrice, croit avoir eu l’idée de génie pour expliquer la genèse des Hauts de Hurlevent, en inventant tout simplement une romance entre Emily et un jeune pasteur a priori dévoué à Dieu et à sa foi. Les tenants de la vérité historique pousseront des cris d’orfraie devant ce crime de lèse-majesté mais après tout, pourquoi pas? Ce qui gêne bien davantage, c’est que cette romance platement illustrée et dénuée de surprises sert surtout à masquer la relation quasiment incestueuse qui pouvait lier Emily à son frère débauché et enfant terrible de la famille, Branwell. En-dehors des séquences de cours de français qui donnent la possibilité à Emma Mackey de montrer l’étendue de ses compétences linguistiques ‘(à croire qu’elle a surtout été engagée pour cette raison), aucune magie ou alchimie ne se dégage d’une histoire d’amour convenue avec ce pasteur sorti de l’imagination enfiévrée de la scénariste. En revanche, la relation trouble avec Branwell aurait dû être bien plus exploitée car elle donne lieu au seul plan en lien avec le roman, cf. Heathcliff et Cathy observant en voyeurs la demeure paisible et bourgeoise des Linton, et surtout aurait pu déboucher sur la seule véritable explication de sa conception, bien plus provocatrice que ne peut l’être ce film appliqué. On peut également regretter le style sans heurts, joliment illustratif, qui échoue à montrer l’existence tourmentée d’Emily Brontë entre rêves et cauchemars. La limite du film apparaît lorsque la réalisatrice, pour évoquer la poésie des promenades dans la lande anglaise, n’a comme seule idée que de montrer les trois soeurs courir au ralenti sur une musique pompeuse.

En fait, alors que Emily a toujours été proche d’Anne, proximité qui disparaît dans le film, Frances O’Connor préfère montrer une soi-disant rivalité entre elle et Charlotte, même si cette rivalité n’aboutit à rien d’un point de vue dramatique. Mais le problème majeur du film demeure ce casting improbable d’Emma Mackey, la star de Sex Education, pour interpréter Emily Brontë. Bien qu’on ne puisse absolument rien lui reprocher, car elle a fait tous les efforts louables pour s’approprier le rôle, l’évidence saute pourtant aux yeux : elle n’est malheureusement pas le personnage, ayant cinq à dix années de trop et surtout un physique beaucoup trop contemporain pour jouer une jeune fille du dix-neuvième siécle. Passe encore qu’elle dépasse d’une tête les deux actrices censées jouer ses soeurs, ce qui lui donne une prééminence accordée d’emblée, mais elle échoue surtout à se connecter à l’esprit du personnage, fait de solitude et de révolte. Autant l’on peut croire en une Isabelle Adjani effarouchée et sauvage dans Les Soeurs Brontë d’André Téchiné, autant Emma Mackey paraît beaucoup trop roublarde et mature pour ce rôle qui exigeait nettement plus d’innocence et de rébellion. Le seul moment -paradoxal- où son interprétation fonctionne un peu, c’est lors d’une séance de spiritisme, où elle arbore un masque et en vient à endosser la personnalité de la mère disparue de la famille Brontë. Un moment assez bref qui laisse imaginer ce qu’aurait pu être Emily, une rêverie sur l’écriture entre morts et fantasmes. Dans le même genre de biopic d’autrice de roman gothique, Mary Shelley de Haifa Al-Mansour, s’en sortait un peu mieux. A la question, comment Emily Brontë est-elle parvenue à délivrer un aussi grand roman que Les Hauts de Hurlevent, Emily apporte une réponse scolaire et plus que convenue.

2.5

RÉALISATEUR :   Frances O'Connor 
NATIONALITÉ : britannique 
GENRE :  biopic, drame 
AVEC : Emma Mackey, Fionn Whitehead, Oliver Jackson-Cohen, Alexandra Dowling 
DURÉE : 2h10 
DISTRIBUTEUR : Wild Bunch Distribution 
SORTIE LE 15 mars 2023