On avait laissé Ari Aster en pleine déconfiture avec Beau is afraid, un film certes éminemment personnel, mais qui s’apparentait assez à une séance d’autopsychanalyse en public, où l’artiste nous confessait son traumatisme par rapport à la mort et l’emprise mentale d’une marâtre possessive, dont il ne parvenait pas à se dépêtrer. Pourtant, même dans le cadre de cette déroute artistique, où l’ambiance cauchemardesque paraissait plus que forcée, le talent évident de l’Américain subsistait par bribes. En 2023, il y avait eu ainsi des rumeurs de sélection en compétition cannoise pour Ari Aster, Thierry Frémaux ayant été alerté de l’inventivité d’un des meilleurs metteurs en scène américains de la nouvelle génération, s’étant fait connaître dans le domaine de l’Elevated Horror. Mais Frémaux avait dû frémir dans le mauvais sens du terme devant le résultat assez consternant qui lui avait été proposé. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : retenu en Sélection officielle, en compétition, Eddington, aux allures peut-être trompeuses de western, commente de manière sarcastique l’actualité contemporaine, en mélangeant dans un chaudron magique, fake news, Black lives matter, les violences sexuelles, le confinement, etc.
En mai 2020, dans le comté de Sévilla, au Nouveau-Mexique, le shérif Joe Cross, opposant farouche au port du masque, favorable à l’usage des armes à feu par les civils, décide de se présenter contre le maire Ted Garcia qui se trouve à la fin de son mandat. Cette opposition politique va mettre le feu aux poudrières de la ville d’Eddington.
Eddington, aux allures peut-être trompeuses de western, commente de manière sarcastique l’actualité contemporaine, en mélangeant dans un chaudron magique, fake news, Black lives matter, les violences sexuelles, le confinement, etc.
Eddington n’a en fait de western que le nom. Tout comme le brillant auteur d’Hérédité et de Midsommar avait traité le film d’horreur comme un prétexte pour disséquer les dessous d’une famille ou l’importance de la masculinité toxique dans les crises de la vie conjugale, Eddington est en fait une comédie sarcastique sur le monde d’aujourd’hui. Rarement un film aura été aussi connecté au monde contemporain, via un fil d’actualité déroulant le lot de rares bonnes et très fréquentes mauvaises nouvelles, sur le téléphone portable du shérif Joe Cross. Tout y passe dans les événements ayant fait l’actualité en mai 2020 : les exactions du mandat finissant de Donald Trump, le confinement et le port du masque, George Floyd et le mouvement Black Lives Matter, etc.
Si le personnage principal du film n’était pas un shérif, il y aurait franchement lieu de se demander en quoi ce film serait un western. C’est ainsi l’art d’Ari Aster de subvertir la notion de genre et de la soumettre à sa propre vision, extrêmement personnelle. L’interprétation de Joaquin Phoenix, énormissime en shérif shakespearien, délirant en ne voulant absolument pas porter de masque, et pathétique loser, ne sachant comment tenir les rênes de son couple avec Louise (Emma Stone), traumatisée adolescente par un viol, représente le grand point d’entrée et la principale attraction du nouveau film d’Ari Aster. Presque tout le film est considéré de son point de vue, soit celui d’un fantoche qui s’avérera diffuseur de fake news et surtout meurtrier, à qui il adviendra d’enquêter sur le meurtre qu’il aura lui-même perpétré.
A travers lui, Aster dresse le portrait cauchemardesque d’un monde en complète déréliction, d’une certaine Amérique, où de jeunes Blancs finissent par avoir honte d’être Blancs, où l’opinion est gouvernée à rebours du bon sens par les réseaux sociaux et les diffusions de vidéos (l’annonce de la candidature de Joe Cross au poste de maire, la dénégation de Louise, la pratique intensive de la belle-mère de Joe), où il suffit d’une petite polémique pour enflammer les consciences. En l’occurrence, si Beau is afraid évoquait le traumatisme de la mère possessive, cette fois-ci, il s’agit plutôt dans Eddington, de celui de la belle-mère, menteuse pathologique et manipulatrice.
Et dans tout cela, où en est véritablement Ari Aster? Il se porte beaucoup mieux que dans Beau is afraid où le moindre effet de mise en scène semblait téléphoné. Il a surtout retrouvé son humour qui fonctionne ici à plein régime, alors qu’il tombait la plupart du temps à plat dans Beau is afraid. La présence de Joaquin Phoenix permet de rattacher ces deux films à la thématique de l’homme en faillite psychologique personnelle. En revanche, Aster a gardé malheureusement quelques séquelles de son film précédent, en particulier, celle de traiter les thématiques de manière brouillonne, maladroite et quelque peu superficielle. Le film souffre d’un trop-plein qui aurait pu être mieux géré sous forme de série télévisée. L’auteur de Midsommar (incontestablement son meilleur film) se trouve encore loin mais le malade est en bonne voie de guérison, contrairement à Joe Lucas et surtout l’Amérique en pleine déliquescence.
RÉALISATEUR : Ari Aster NATIONALITÉ : américaine GENRE : western, comédie AVEC : Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Emma Stone, Austin Butler DURÉE : 2h28 DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport SORTIE LE 16 juillet 2025