Eat the Night : la fin d’un monde

Les années ont passé depuis la sortie de Jessica Forever, curiosité cinématographique issue de l’esprit sensible des français Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Une belle oeuvre à fleur de peau, naïve… et perfectible. Un cinéma hétérogène, fluide, étrange, à la croisée des chemins. Projeté dans le cadre de la Quinzaine des Cinéastes, Eat the Night, le second long métrage du duo, propose une nouvelle hybridation des genres et des formes, entre le machinima (un film réalisé à partir du moteur graphique d’un jeu vidéo), le thriller et la tragédie. Une déambulation certes ambitieuse, mais fortement limitée par une écriture fragile.

Alors qu’Apolline est plongée dans le jeu vidéo en ligne Darkmoon, un surprenant message apparaît au beau milieu de l’écran : les serveurs du jeu vont prochainement fermer, définitivement. Pour l’adolescente, cette annonce est un véritable drame, Darkmoon n’est pas qu’un simple divertissement, c’est une partie de sa vie : depuis près de dix ans, elle explore l’univers du jeu avec son grand frère Pablo, un petit dealer. Quelle vie après Darkmoon ? Pour ne rien arranger, depuis que son frère a rencontré un certain Night, il se connecte de moins en moins au jeu. L’heure de l’apocalypse approche.

Après l’euphorie digitale, la grande désillusion du monde réel : une lueur existe toutefois, ne reste qu’à dévorer la nuit pour l’atteindre

Dans Eat the Night, les mondes s’entrechoquent, la réalité vient se heurter au numérique, le vrai questionne le fictif : la fin d’un monde approche, mais lequel va disparaître ? Celui du jeu vidéo, avec sa géographie, sa philosophie, ses codes, ou bien celui du monde réel ? Lorsque la jeune fille retrouve son père, souvent absent du foyer, en pleine décoration du sapin de Noël, sa réaction est sans ambiguïté : cette époque est révolue, ce n’est plus nécessaire de faire semblant, il n’y a plus rien à célébrer le 24 décembre au soir. Une page doit être tournée. Comme dans le court métrage After School Knife Fight, une mélancolie, à la fois douce et amère, irrigue le récit. Si le film prolonge les motifs du premier long métrage, notamment le rapport à la violence, le mal-être, la déshumanisation, Eat the Night vibre toutefois différemment. On retrouve la patte visuelle et sonore du duo, mais l’alchimie ne prend pas : l’émotion n’y est pas. Construit autour du sentiment amoureux, le récit s’embourbe rapidement dans une banale histoire de drogue, répétitive et assez peu convaincante. L’ensemble peine à trouver son équilibre et vire rapidement au mélodrame tiède. Heureusement, la proposition ne manque pas d’audace et d’ingéniosité, à commencer par sa façon de mélanger les formes, de brouiller les pistes du réel. D’un côté, il y a le luxuriant univers de Darkmoon, où l’on peut être ce que l’on veut, et de l’autre, une ville sans repères. Après l’euphorie digitale, la grande désillusion du monde réel : une lueur existe toutefois, ne reste qu’à dévorer la nuit pour l’atteindre.

2.5

RÉALISATEUR : Caroline Poggi, Jonathan Vinel
NATIONALITÉ : France
GENRE : Thriller
AVEC : Théo Cholbi, Lila Gueneau, Erwan Kepoa Falé
DURÉE : 1h45
DISTRIBUTEUR : Tandem
SORTIE LE 17 juillet 2024