Earwig : un monde à part

Depuis Innocence et Evolution, Lucile Hadzihalilovic aime filmer des mondes qui fonctionnent en complète autarcie : un parc coupé du monde dans Innocence, un village sur une île dans Evolution. Earwig ne déroge pas à la règle avec une maison isolée. Bardé d’intéressantes références esthétiques, ce film de Lucile Hadzihalilovic propose à nouveau un monde à part qui étouffe quelque peu sous le syndrome de la claustration et de la bizarrerie à tout prix.

Dans une maison isolée, Albert, un homme étrange et tourmenté, vit avec une petite fille, Mia, à qui il confectionne quotidiennement des dents de glace. Il reçoit des coups de fil de commanditaires inconnus. Il doit se préparer à conduire Mia à l’extérieur…

Dans Earwig, absolument tout suinte l’esthétisme de haut vol, la cinéphilie, la sensibilité artistique mais il y manque peut-être l’essentiel : la chair, le vécu, la vie.

Filmé avec goût, adapté du roman de Brian Catling, Earwig peut à juste titre fasciner : s’y côtoient les filtres jaunes et verts de La Cité des enfants perdus de Caro et Jeunet, un style esthétique qui évoque parfois certaines toiles d’Edvard Munch, une atmosphère à la manière de Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg (Mia étant vêtue pour sortir, comme le Petit Chaperon Rouge), un filmage ésotérique qui évoque au choix les frères Quay ou Guy Maddin, des scènes ou des motifs thématiques issus d’Hitchcock (la blonde Céleste, vrai/faux substitut caché de Marie, l’épouse décédée d’Albert, comme dans Vertigo) ou de Lynch (le début du film peut faire penser à Eraserhead, tandis qu’une scène en son milieu semble presque une reprise de celle de l’Homme-Mystère dans Lost Highway). Le point fort de Lucile Hadzihalilovic réside ainsi dans la création d’une ambiance sombre, fantastique, à la limite de l’horreur.

Néanmoins ce voyage aux confins de l’étrange ne mène malheureusement pas très loin. Passée la bizarrerie de l’ensemble, – Mia ayant tout d’abord des dents de glace puis des dents de verre -, et les emprunts référentiels à Htichcock ou Lynch, Earwig anesthésie toute sensation par la langueur, la lenteur intentionnelle de son rythme. Le monde de Lucile Hadzihalilovic est un monde clos qui ne trouve tristement aucune échappée vers l’extérieur. A côté de ses films, ceux de Kubrick ou Lynch, pourtant souvent des cauchemars climatisés comme Shining, Eyes wide shut, Lost Highway ou INLAND EMPIRE, paraissent singulièrement humains et empathiques. La confusion d’identités (Albert est-il le père, le tuteur ou le simple gardien de Mia? Est-il veuf ou n’a-t-il jamais été marié ?) ne conduit malheureusement à aucune sorte de suspense dramatique, tant nous restons extérieurs aux personnages, hormis celui de Romola Garai qui parvient à donner un peu d’émotion dans quelques plans. Au visionnage d’Earwig, on ressent l’impression d’assister à un exercice de style d’une étudiante douée qui ne possède pas les ressorts suffisants pour insuffler de la vie à son univers.

Est-ce du cinéma? De l’art? Incontestablement oui. Dans Earwig, absolument tout suinte l’esthétisme de haut vol, la cinéphilie, la sensibilité artistique mais il y manque peut-être l’essentiel : la chair, le vécu, la vie.

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RÉALISATEUR : Lucile Hadzihalilovic
NATIONALITÉ : française 
GENRE :  drame
AVEC : Paul Hilton, Romane Hemelaers, Alex Lawther et Romola Garai 
DURÉE : 1h54 
DISTRIBUTEUR : New Story 
SORTIE LE 18 janvier 2023