Dossier 137 : tempête sous un crâne

En dépit de ses sept César remportés pour La Nuit du 12 et de plus de trente ans de carrière, Dominik Moll reste étrangement sous-estimé, étant moins médiatisé que certains autres metteurs en scène. C’est pourtant assez injuste. Il fait partie de cette génération « intermédiaire » faisant partie des dernières promotions de l’IDHEC, avec le regretté Laurent Cantet et Gilles Marchand, son complice de toujours et coscénariste de prédilection. A Cannes, il n’a bizarrement remporté aucun prix. Dès 2000, il a pourtant été remarqué en compétition avec Harry, un ami qui vous veut du bien, un thriller psychologique devenu un classique, dont le titre est passé dans le langage courant. Lemming, film d’ouverture en 2005, beau film sur l’ennui conjugal, a été un peu négligé à tort. Moins à l’aise dans le film historique (Le Moine) ou la comédie (Des Nouvelles de la planète Mars), il a traversé un passage à vide dans les années 2010, dont il est brillamment sorti avec Seules les bêtes, thriller polyphonique assez jouissif, et surtout La Nuit du 12, le film sur les féminicides, justement récompensé au plus haut niveau. Depuis 2019, année de réalisation de Seules les bêtes, Dominik Moll semble avoir circonscrit son territoire stylistique et thématique de prédilection : le thriller sociétal. Avec Dossier 137, il entre davantage sur le terrain politique, en s’interrogeant sur les conséquences d’une enquête d’une inspectrice de l’IGPN sur les actions de membres de la BRI vis-à-vis de gilets jaunes en 2018.

Le dossier 137 est en apparence une affaire de plus pour Stéphanie, enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Une manifestation tendue, un jeune homme blessé par un tir de LBD, des circonstances à éclaircir pour établir une responsabilité… Mais un élément inattendu va troubler Stéphanie, pour qui le dossier 137 devient autre chose qu’un simple numéro.

Dominik Moll réussit une nouvelle fois son film en nous interrogeant de manière insoluble face aux contradictions du dossier 137 et aux oppositions des diverses forces en présence.

Stéphanie Bertrand est une policière consciencieuse et très professionnelle. Son enquête sur les agissements de membres de la BRI (Brigade de recherche et d’intervention) vis-à-vis d’un jeune homme blessé par un tir intempestif de flash-ball, va la pousser à s’interroger sur le sens de sa fonction et la manipulation dont elle peut faire l’objet. Le film commence assez sagement, de manière presque scolaire, en posant progressivement les différents enjeux et acteurs de l’histoire. Le film souffre peut-être au départ d’être trop bien écrit, d’ouvrir un peu trop la porte au manichéisme.

Mais Dominik Moll a plus d’un tour dans son sac : en premier lieu, Léa Drucker qui trouve ici l’un de ses meilleurs rôles en enquêtrice qui se bat pour établir la vérité et la justice, dans un monde apte aux compromis, voire aux compromissions ; ensuite, cette fameuse écriture ciselée, une description clinique, précise et complète, des différentes forces en présence, la famille de la victime, l’IGPN, la BRI, le ministère de l’intérieur et la direction de la police nationale. Enfin, une interrogation sur les choix moraux de chacun, de la place de l’IGPN dans le dispositif de la police, ainsi que sur la volonté de préserver l’image des policiers, plutôt que de rendre une justice plus soucieuse des intérêts de la victime.

La scène-pivot du film est ainsi la discussion devant un tournoi d’arts martiaux du fils de Stéphanie, entre Stéphanie Bertrand et son ex-mari (Stanislas Merhar), également policier de profession. Ce dernier lui reproche d’écorner l’image de la BRI dont les agents sont des héros aux yeux de la population française, alors que Stéphanie se préoccupe du fait que les agents n’ont pas respecté le fait de devoir apporter une riposte appropriée et proportionnée à des exactions de la population, ainsi que de pouvoir accorder une juste rétribution à la victime, affectée de séquelles physiques à vie

A partir de là, le film va entrer dans une spirale vertigineuse, similaire à la tempête qui va se déclencher dans la tête de l’enquêtrice Stéphanie. A-t-elle privilégié une thèse plutôt qu’une autre et manqué à son devoir d’objectivité? Est-elle victime de pressions politiques qui cherchent à étouffer un maximum l’affaire? Mélange-t-elle un peu trop sa vie personnelle et sa vie professionnelle, comme dans l’excellente séquence où elle effectue une filature dans le métro, filature entrecoupée de réponses à son fils au téléphone? Quel est le sens véritable de sa mission? A quoi sert-elle en fait, comme le lui demande dans une scène déchirante, la mère de la victime? Dominik Moll réussit une nouvelle fois son film en nous interrogeant de manière insoluble face aux contradictions du dossier 137 et aux oppositions des diverses forces en présence. Un metteur en scène, c’est quelqu’un qui pose des questions, ce n’est pas quelqu’un qui apporte des réponses toutes faites. Le côté trop écrit du début finit par disparaitre totalement ; ne reste qu’un gouffre vertigineux d’interrogations sur la responsabilité individuelle. La scène où Léa Drucker, magistrale, finit par rire de façon idiote devant des vidéos de chats pour se détendre, devant le regard inquiet de son fils, est assez inoubliable.

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RÉALISATEUR : Dominik Moll
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : policier 
AVEC : Léa Drucker, Guslagie Malanda, Dorothée Martinet, Jonathan Turnbull
DURÉE : 1h55
DISTRIBUTEUR : Haut et Court 
SORTIE LE 19 novembre 2025