Disco Boy : entrez dans la transe !

Présenté au dernier festival de Berlin, ce premier long métrage du cinéaste Giacomo Abbruzzese a remporté l’Ours d’argent de la meilleure contribution artistique, une récompense amplement méritée qui salue la réussite indéniable d’une œuvre envoûtante et fascinante.

Le récit de Disco Boy débute en Pologne, où un groupe de supporters biélorusses vient assister à un match de football. Parmi eux, Aleksei, prêt à tout pour s’enfuir de Biélorussie. Menant à bien son projet, il finit par rejoindre Paris et s’engage dans la Légion étrangère. Il est envoyé au combat dans le Delta du Niger où Jomo, jeune révolutionnaire, lutte contre les compagnies pétrolières qui ont dévasté son village. Si Aleksei cherche une nouvelle famille dans la Légion, Jomo s’imagine être danseur, un disco boy. Dans la jungle, leurs rêves et destins vont se croiser.

Sur un tel sujet, on aurait pu craindre un film de genre consensuel et terriblement ennuyeux. Mais, c’est le contraire que le spectateur voit à l’écran : un long métrage énigmatique et passionnant, original et d’une grande beauté visuelle

Sur un tel sujet, on aurait pu craindre un film de genre consensuel et terriblement ennuyeux. Mais, c’est le contraire que le spectateur voit à l’écran : un long métrage énigmatique et passionnant, original et d’une grande beauté visuelle. En effet, la première des qualités, et non des moindres, réside dans la mise en scène. Utilisant toutes les ressources à sa disposition (les mouvements, les sons et les lumières), Abbruzzese met en scène non pas un film de guerre traditionnel mais une sorte d’odyssée intérieure, marquée du sceau de Joseph Conrad, l’auteur du roman Au cœur des ténèbres (déjà adapté au cinéma, avec Apocalypse Now), dont on perçoit assez aisément ici la référence que le réalisateur d’ailleurs revendique : « ll y a une perméabilité entre le décor et le personnage, les lieux traversés et habités racontent l’état d’âme d’Aleksei. Son évolution, aussi. J’ai cherché au montage une structure sensorielle, avec une sorte de vortex au centre du film, la danse. » C’est d’autant plus frappant que le film, qui commence de manière plutôt classique, et géographiquement assez identifiable, vire progressivement mais sûrement vers une abstraction inattendue et salutaire. Prenons un seul exemple qui témoigne de l’audace du jeune cinéaste : l’affrontement entre Jomo et Aleksei, filmé uniquement en caméra thermique, chose peu commune dans le cinéma de guerre.

La magnifique bande originale de Pascal Arbez-Nicolas (alias Vitalic) participe également à l’aspect hypnotique du long métrage.

La magnifique bande originale de Pascal Arbez-Nicolas (alias Vitalic) participe également à l’aspect hypnotique du long métrage. A la fois écrasante, lyrique, mélancolique, elle s’envole littéralement dans les scènes de boîte de nuit qui résument assez bien la démarche de Abbruzzese et de la directrice de la photographie, Hélène Louvart (qui a notamment travaillé avec Alice Rohrwacher, Agnès Varda, Mia Hansen-Løve ou plus récemment avec Alain Guiraudie pour Viens je t’emmène).

Disco Boy revêt les atours d’une œuvre fantastique, ou du moins fantasmagorique, mêlant intelligemment plusieurs genres cinématographiques

Mais il serait injuste de limiter la qualité de Disco Boy à sa seule mise en scène, aussi étonnante soit-elle. Le film séduit également par sa qualité d’écriture. Le récit est ramassé, laissant la part belle aux virages et aux ellipses (on pense par exemple aux multiples transitions entre les strates de l’histoire, les passages des scènes d’entraînement à celles de la jungle au Nigéria ; ou encore des scènes d’affrontement à celles du night-club). Indéniablement, Disco Boy revêt les atours d’une œuvre fantastique, ou du moins fantasmagorique, mêlant intelligemment plusieurs genres cinématographiques : il n’est d’ailleurs pas interdit de se poser la question de la réalité de certaines scènes, qui pourraient bien représenter les rêveries intérieures des personnages. C’est le cas de toute la dernière partie, et de la relation qui se joue entre Aleksei et l’une des danseuses de la boîte de nuit (lien avec l’histoire que l’on se gardera ici de révéler, laissant le soin au spectateur de le découvrir par lui-même lors de la projection).

La présence de l’acteur allemand Franz Rogowski (remarquable dans Great Freedom, ou dans le sublime Ondine de Christian Petzold, sorti en 2020) est une plus-value indiscutable, par son jeu, tout en retenue, mais envoûtant et magnétique

Il convient enfin de saluer la performance des interprètes dans ce film, peuplé de personnages qui s’apparentent davantage à des fantômes qu’à des êtres de chair et d’os (impression renforcée d’ailleurs par le fait que tous ne parlent pas la langue qu’ils jouent, un parti pris artistique assumé par le réalisateur). La présence de l’acteur allemand Franz Rogowski (remarquable dans Great Freedom, ou dans le sublime Ondine de Christian Petzold, sorti en 2020) est une plus-value indiscutable, par son jeu, tout en retenue, mais envoûtant et magnétique (et mis en valeur par les gros plans sur son visage qui exprime tant de choses dans une économie de jeu impressionnante sans gommer toute profondeur). Il incarne à la perfection Aleksei et donne corps à ce qu’est vraiment ce film atypique, introspectif mais vivifiant : une histoire de transmission, de danse, de fusion voire de possession. C’est probablement la lecture que l’on peut faire de la scène finale : celle d’une libération par la danse/la transe qui conclut de la plus belle des manières le long métrage, sans dissiper pour autant tout son mystère.

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RÉALISATEUR : Giacomo Abbruzzese 
NATIONALITÉ :  France, Italie, Pologne, Belgique 
GENRE : Drame
AVEC :  Franz Rogowski, Morr N’Diaye, Laetitia Ky
DURÉE : 1h31
DISTRIBUTEUR : KMBO
SORTIE LE 3 mai 2023