A un mot près, Dis-moi juste que tu m’aimes est le titre d’une chanson inoubliable de Zaho de Sagazan, la nouvelle idole de la chanson française. Avec ce septième film, Anne Le Ny, comédienne remarquable de second rôle, poursuit son oeuvre de réalisatrice entamée en 2007, il y a presque vingt ans, et spécialisée dans les histoires de famille (en particulier d’héritage) et de rapports de couple, en alternant équitablement entre drames et comédies. Poursuivant la veine du thriller inaugurée dans son oeuvre par Le Torrent, Dis-moi juste que tu m’aimes est ainsi un film sur l’érosion d’un amour menacé par un phénomène d’emprise manifesté par un personnage dangereux de pervers narcissique. Porté par une belle distribution (Elodie Bouchez, José Garcia, Omar Sy, Vanessa Paradis), et un scénario tissant assez finement un réseau de liens entre divers personnages dans une ville de province, Dis-moi juste que tu m’aimes tient ses promesses de drame sentimental où l’on s’interroge sur le vrai amour, celui qui dure sans forcément s’enflammer à chaque seconde.
A Vannes, au bout de quinze ans de mariage, une crise met à l’épreuve l’union de Julien (Omar Sy) et Marie (Elodie Bouchez). Dans le couple, cette dernière a toujours été celle qui aimait le plus, aussi, au moment où Anaëlle (Vanessa Paradis), le grand amour de jeunesse de son mari Julien, réapparait dans le paysage, Marie panique. Perdue dans une spirale infernale de jalousie et d’autodépréciation, Marie se laisse entraîner dans une aventure avec Thomas (José Garcia), son nouveau supérieur hiérarchique.
A cet échafaudage sentimental, Anne Le Ny a su fournir un scénario assez implacable, profitant de l’étroitesse et de la proximité de la vie dans une petite ville de province, où tous peuvent plus ou moins se croiser.
Contrairement à ce que le casting du film pourrait laisser penser, le principal couple de Dis-moi juste que tu m’aimes est formé, non pas par le potentiel couple romantique, Omar Sy- Vanessa Paradis, mais par le couple illégitime Elodie Bouchez-José Garcia. En fait, au départ, Anne Le Ny part de l’idée de La Femme d’à côté, avec un amour de jeunesse qui revient bien des années plus tard, à deux immenses différences près : le point de vue n’est plus celui du mari dépassé par une ancienne passion, mais celui de la femme délaissée (excellente Elodie Bouchez), et surtout le récit va se focaliser sur l’amour toxique que cette dernière va entretenir avec son supérieur hiérarchique, harceleur en puissance. Cette toxicité pourrait rappeler une oeuvre au titre assez similaire, Dites-lui que je l’aime, de Claude Miller, sauf qu’ici, il n’est nullement question d’adopter le point de vue du psychopathe.
Cette intrigue sous forme de thriller dénonçant un phénomène d’emprise psychologique et surtout économique (Thomas peut virer Marie du jour au lendemain, en arguant d’une fausse erreur professionnelle bidonnée) est en fait surtout un prétexte pour se demander qui aime vraiment qui : Marie qui a attendu patiemment que Anaelle parte pour conquérir Julien, décrété l’homme de sa vie, avec qui elle a eu deux filles ; Anaelle qui revient à Vannes, vigt ans plus tard, sans jamais avoir oublié Julien ; Julien qui hésite entre deux femmes, celle dont il a longtemps rêvé et qui, en le quittant, l’a plongé dans une profonde dépression, dont seule Marie a pu le tirer ; Thomas, divorcé deux fois, qui s’est jeté à corps perdu dans sa carrière professionnelle, et qui, en manipulateur chevronné, va se jeter sur Marie comme sur une proie déjà consentante, déçue par le comportement supposé de son mari.
A ce jeu de l’amour et du hasard, le grand méchant loup est bien évidemment Thomas, à qui José Garcia prête brillamment son amabilité mielleuse et faussement cordiale qui cache de noirs desseins, comme dans quelques-uns de ses rôles dramatiques (Le Couperet). Néanmoins, si Anaelle demeure une bien gentille tentatrice, qui sert même de deus ex machina, et Julien un dernier des Justes qui n’aura finalement guère à se reprocher, le rôle central et sans doute le plus ambigu est celui de Marie, dont on ne sait à quel point son approche de passive-agressive relève également de la pure manipulation, pour reconquérir son mari. Marie, celle qu’on ne voit pas, qui a obtenu une promotion par l’ancienneté, presque par hasard, qui a aussi réussi à conquérir son mari en se glissant avec beaucoup de patience dans un rôle d’infirmière et de conseillère psychologique. Dans ce rôle a priori terne, Elodie Bouchez fait des étincelles, dans la fausse naïveté et l’immaturité a priori sans limites. Comme le disait Pierre Reverdy, « il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour » et c’est exactement ce que demande Marie, des preuves. A la limite, peu importe celui qui les donne.
A cet échafaudage sentimental, Anne Le Ny a su fournir un scénario assez implacable, profitant de l’étroitesse et de la proximité de la vie dans une petite ville de province, où tous peuvent plus ou moins se croiser. Néanmoins, il y manque un léger tour de vis dramatique pour rendre tout cela inoubliable, pour qu’une intrigue de fait divers bascule dans une tragédie simenonienne, ou finisse par rejoindre l’inspiration truffaldienne de départ de La Femme d’à côté, voire celle du Chabrol inspiré de La Femme infidèle.
RÉALISATRICE : Anne Le Ny NATIONALITÉ : française GENRE : drame, thriller AVEC : Elodie Bouchez, José Garcia, Omar Sy, Vanessa Paradis DURÉE : 1h51 DISTRIBUTEUR : SND SORTIE LE 19 février 2025