Dirty Difficult Dangerous : sous le soleil de Beyrouth, la fable amère

Poursuivant l’exploration de la société libanaise qu’il avait entamée avec ses courts métrages et son premier long métrage, Tombé du ciel (sorti en 2017), le cinéaste Wissam Charaf livre un film étonnant, dans la même veine stylistique, et présenté récemment à la 44e édition du Cinemed, le Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier.

Dirty, Difficult, Dangerous met ainsi en scène Ahmed, réfugié syrien, qui semble avoir trouvé l’amour en Mehdia, une femme de ménage éthiopienne. Mais à Beyrouth, cela semble impossible… Ce couple de réfugiés sentimentaux réussira-t-il à trouver sa voie vers la liberté alors qu’Ahmed, survivant de la guerre en Syrie, semble rongé par un mal mystérieux qui transforme son corps peu à peu en métal ?

Wissam Charaf aborde des sujets graves (l’immigration, le rejet de l’autre, le racisme, les inégalités sociales), mais choisit de les traiter avec intelligence, à la manière d’une fable quasiment universelle, au ton décalé

Ce synopsis pouvait laisser craindre une œuvre sociale pesante, comme on en voit malheureusement trop souvent sur les écrans, où l’emporteraient un certain misérabilisme ainsi qu’un regard complaisant. Le résultat, ici, est tout autre. Wissam Charaf aborde des sujets graves (l’immigration, le rejet de l’autre, le racisme, les inégalités sociales), mais choisit de les traiter avec intelligence, à la manière d’une fable quasiment universelle, au ton décalé : ce que laisse supposer la représentation de certains lieux, comme les rues, étrangement désertes ou la maladie dont souffre Ahmed, ce métal qui envahit son corps. En découvrant ce long métrage, on pense volontiers à d’autres réalisateurs, dont l’influence est manifeste : le Finlandais Aki Kaurismaki, avec par exemple Le Havre ou le Palestinien Elia Suleiman, avec Intervention divine ou encore It Must be Heaven.

A ce titre, soulignons la performance de Clara Couturet et Ziad Jallad, toujours très justes et qui donnent chair à cette idée de survie en milieu hostile, à la marge

Mais, sous la fable, perce un indéniable aspect réaliste, notamment dans la description précise du quotidien des deux personnages principaux : des petits boulots pour Ahmed, qui dort le soir dans un squat de réfugiés syriens moyennant une somme d’argent ; la vie de domestique pour Mehdia, qui travaille dans un appartement d’une famille bourgeoise (et dont les papiers ont été confisqués par l’entreprise qui gère ces travailleurs étrangers, comme une main-d’œuvre facile et corvéable à merci). A ce titre, soulignons la performance de Clara Couturet et Ziad Jallad, toujours très justes et qui donnent chair à cette idée de survie en milieu hostile, à la marge, car Ahmed et Mehdia tentent, chacun à leur manière de survivre dans un pays qui n’est pas le leur. Charaf donne ainsi à voir le malaise dans la société libanaise contemporaine. D’ailleurs, il est intéressant de noter que le cinéaste casse un peu les codes du « film de migrants », en ne choisissant pas de situer son récit dans un pays d’accueil dit « développé », mais dans un État en proie à de multiples crises, situé dans une région du monde pour le moins instable et dans lequel les réfugiés syriens (qui affluent depuis la guerre civile en Syrie) ne sont pas vraiment les bienvenus (il est même question d’un couvre-feu les concernant).

A sa manière, douce-amère et poétique, Charaf met en scène une histoire d’amour, un mélodrame où se mêlent tendresse, ironie, cruauté et absurdité.

A sa manière, douce-amère et poétique, Charaf met en scène une histoire d’amour, un mélodrame où se mêlent tendresse, ironie, cruauté et absurdité. Il est aidé en cela par une très belle image, lumineuse, qui agit par contraste avec le réel présenté à l’image. C’est notamment le cas dans la deuxième partie du récit, plus sombre, suivant la fuite des personnages, à la recherche d’un avenir meilleur mais qui les conduit dans un camp de réfugiés à la frontière libano-syrienne, sous un ciel bleu sans aucun nuage à l’horizon.

Pour autant, par des choix de mise en scène originaux, par un angle qui ne l’est pas moins, le réalisateur entraîne son long métrage vers les contrées du conte, de la fable, à l’image d’un dernier plan étonnant et poétique (finalement assez lourd de sens), qu’on se gardera d’évoquer ici, mais dont on peut dire qu’il associe le côté dramatique et celui plus léger du gag, sans que le spectateur sache réellement s’il doit sourire ou pleurer. Un film d’une profonde humanité donc, à la tonalité plutôt amère mais, pourtant, non dénué d’espoir.

3.5

RÉALISATEUR : Wissam Charaf
NATIONALITÉ :  France, Liban, Italie, Qatar 
GENRE : Drame 
AVEC : Clara Couturet, Ziad Jallad, Darina Al Joundi
DURÉE : 1h23
DISTRIBUTEUR : JHR Films
SORTIE LE 26 avril 2023