Il faut bien du courage pour s’attaquer à des sujets aussi sensibles que celui de l’autisme. Pour son quatrième long-métrage, après avoir exploré le destin d’une enfant juive pendant la Seconde Guerre Mondiale (Le voyage de Fanny) ou encore les troubles de l’amour et de la dépendance psychologique à travers Contre toi, Lola Doillon surprend donc encore avec Différente. La réalisatrice nous livre un film sensible et romantique, porté par une actrice bluffante, à qui l’on reprochera tout de même des inserts souvent trop pédagogiques qui plombent le récit délicat.
À 35 ans, Katia est une brillante documentaliste. Mais ses relations compliquées avec les autres, ainsi qu’une sensibilité aux bruits ou encore à la lumière, la tiennent éloignée d’une vie heureuse et “normale”. Un jour, elle se voit confier un sujet sur l’autisme en France. Un reportage et des rencontres qui l’amènent enfin à mettre un mot sur sa propre différence. Et va chahuter encore un peu plus sa vie déjà bancale.
Ses mimiques, ses regards fuyants, ses hurlements silencieux qui nous tenaillent, Jehnny Beth compose sans jamais en faire trop.
S’il faut saluer un premier point fort de Différente, c’est évidemment le sujet, si peu traité. À travers une recherche documentaire poussée, Lola Doillon aborde le retard de la prise en charge de l’autisme en France, détaille la large palette du spectre autistique et plonge plus particulièrement dans la forme féminine de ce trouble neurodéveloppemental (sous‑diagnostic, camouflages sociaux…) Pour cela, la réalisatrice utilise la mise en abîme, avec son héroïne, Katia, qui se voit confier par hasard une interview par un collègue journaliste. Elle va ainsi rencontrer la Présidente d’une association qui se bat pour que l’autisme soit mieux détecté et pris en charge en France. Une présidente brillante, engagée, maman accomplie et… elle-même autiste Asperger. À travers les recherches de Katia, et sa quête personnelle de diagnostic, on en apprend donc autant que devant un documentaire. Un traitement très pédagogique, qui manque parfois de naturel et s’insère trop lourdement dans l’histoire, si sensible et poignante, de Katia.
Car c’est à travers la romance, plus que le drame, que Lola Doillon construit son quatrième long-métrage. On vit ce chamboulement dans la vie de Katia via les rebondissements de son histoire avec Fred, ce Breton au grand coeur qui donne tout, danse sur de la techno et est riche d’amitiés, s’avoue un “cliché romantique” et “n’arrive pas à vivre sans” cette femme pourtant si différente. On suit le tintement des notifications de leurs messages, leurs vocaux, leurs appels manqués, leurs incompréhensions qui finissent en engueulades, les retrouvailles et déclarations maladroites devant les portes de chacun et chacune… Dans ces deux rôles de partenaires amoureux, Jehnny Beth et Thibaut Evrard touchent en plein cœur et donnent à imaginer un amour et un couple dont l’atypicité assumée est une lumière.
Dans Différente, c’est surtout le fil tendu par Jehnny Beth qui permet au film de tenir la longueur. Avec une justesse et une finesse incroyables, la chanteuse et compositrice tient les 1h40 sur ses épaules à la fois si fragiles et si fortes. Ses mimiques, ses regards fuyants, ses hurlements silencieux qui nous tenaillent, Jehnny Beth compose sans jamais en faire trop. Tout fonctionne : ses excès de joie et pulsions de vie, comme lorsqu’elle danse sous la pluie en riant et en hurlant à Fred qu’elle “veut baiser” ; ses longs moments d’angoisse où tout l’agresse et qu’il lui faut se réfugier sous une couette, se perdre dans la contemplation et le toucher d’un tissu ou d’une lumière furtive. Pour tous ces moments si vrais, et pour les réflexions autour du fait d’annoncer (ou non) aux autres son altérité, Différente vaut le coup d’être vu.
RÉALISATRICE : Lola Doillon NATIONALITÉ : Français GENRE : Comédie dramatique, Romance AVEC : Jehnny Beth, Thibaut Evrard, Mireille Perrier DURÉE : 1h 40min DISTRIBUTEUR : Memento SORTIE LE 11 juin 2025