C’est un peu la Cendrillon 2020 du cinéma français. Passé (presque) complètement inaperçu lors de sa sortie initiale, en février 2020, Deux, le premier film de Filippo Meneghetti a depuis été retenu pour représenter la France aux Oscars. Certes il n’a malheureusement pas fait partie de la sélection finale des nominations mais a pour autant été nommé aux Golden Globes pour le meilleur film étranger et a remporté le César du meilleur premier film, grillant la politesse à Mignonnes. Débarquant un peu de nulle part, avec ce pitch improbable d’un amour lesbien du troisième âge, pour un jeune réalisateur de 40 ans, Filippo Meneghetti prenait pour ainsi dire tous les risques avec ce premier film. Risque payant puisque son film, bardé de quelques prix, va donc ressortir le 19 mai, faisant partie de la rentrée des cinémas, ce qui va permettre à ceux qui l’auront manqué de découvrir cette histoire d’amour fou.
En apparence, Nina et Madeleine sont deux voisines d’un certain âge qui vivent dans deux appartements se faisant face au même étage d’un immeuble. Pourtant une profonde passion les lie, amour que même Anne, la fille de Madeleine, est très loin de soupçonner. Un événement tragique va changer la donne….
Avec un sens prononcé du cadre, une esthétique parfois onirique, une précision diabolique dans l’enchaînement des plans, Meneghetti ménage ainsi un suspense quasiment hitchcockien.
Deux se signale donc par une prise de risques inattendue de la part d’un jeune réalisateur qu’on ne pouvait a priori imaginer se lancer à raconter la folle passion homosexuelle entre deux voisines. Or Meneghetti adopte d’emblée le bon point de vue : comme dans La Vie d’Adèle, il ne s’agit pas d’une passion lesbienne mais d’un amour absolu, quel que soit le genre de la personne, genre qui, pour toute véritable passion, se révèle être en fait secondaire. Nina et Madeleine ne s’aiment pas parce qu’elles sont homosexuelles mais parce qu’elles s’aiment, avant toute autre considération. La société devient alors donc le repoussoir qui les empêche de vivre leur passion en toute liberté. Dans la plupart des scènes, Nina et Madeleine vont donc lutter pour maintenir la flamme de leur amour, tout en la maintenant cachée aux yeux des autres, en particulier la famille de Madeleine.
C’est donc tout un jeu d’apparences et de dissimulations qui va être brillamment mis en scène par Filippo Meneghetti, avec une maestria insoupçonnable pour un cinéaste réalisant son premier film. Avec un sens prononcé du cadre, une esthétique parfois onirique, une précision diabolique dans l’enchaînement des plans, Meneghetti ménage ainsi un suspense quasiment hitchcockien. Cette grande virtuosité peut même à un certain moment se retourner contre le film, faisant démonstration d’un classicisme stylistique parfaitement éprouvé et rigidifiant l’oeuvre en une passion relativement banale, là où on aurait souhaité ressentir davantage les barrages qui explosent devant le déchaînement des coeurs.
On ne saurait trop féliciter l’excellence de l’interprétation: Martine Chevallier et Barbara Sukowa incarnent avec intensité et retenue ce duo d’amantes passionnées qui ne peuvent se séparer, tandis que Léa Drucker, par son jeu très fin, parvient à faire ressentir son basculement de l’hostilité à l’empathie pour cette passion qu’elle aurait bien aimé éprouver dans sa vie, sans la moindre phrase de dialogue à l’appui. Il est peut-être encore un peu tôt pour savoir quelle tendance l’emportera dans le cinéma de Meneghetti, la brillance absolue de la forme ou le caractère plus conventionnel du fond. L’ avenir le dira.