Comment l’histoire jugera-t-elle le chapitre Guantanamo ? A la pointe orientale de Cuba, le centre de détention, tragiquement célèbre pour sa pratique de la torture, est devenu le symbole d’une Amérique vindicative et sans repère. Le fruit d’une blessure profonde intrinsèquement liée au 11 septembre, la riposte suite à un acte de guerre et une dérive certaine dans l’application du droit international. Le miroir déformant d’une Amérique qui, de victime, est devenue à son tour bourreau. Une quête de justice comme une fin en soi : quelqu’un doit payer. Avec Désigné Coupable, le cinéaste britannique Kevin Macdonald nous plonge dans l’enfer de Guantanamo et interroge cet épisode entre patriotisme et affranchissement des valeurs américaines.
Mohamedou Ould Slahi a été détenu à Guantanamo durant 14 ans. Son passé de djihadiste et ses connexions avec plusieurs terroristes du 11 septembre l’ont amené dans le camp de détention. Malgré ses demandes répétées, il n’a jamais su la raison de sa détention : tout ce qu’il savait, c’est qu’il était coupable aux yeux de ceux qui l’accusaient. D’une manière ou d’une autre, on le soupçonnait d’être lié aux attentats. Une fois les aveux recueillis sous la torture, son calvaire ne s’est pas arrêté pas, il est reste piégé dans cette zone de non-droit, rendue possible par l’administration Bush. Lorsque l’avocate Nancy Hollander et sa collaboratrice Teri Duncan se sont intéressées à son histoire, une lueur d’espoir est apparue. Ensemble, ils se sont attelés à faire respecter l’habeas corpus, le droit de connaître la raison de son arrestation et de se protéger contre les détentions arbitraires.
L’histoire vraie que nous raconte Kevin Macdonald, remarqué avec Le dernier roi d’Ecosse, fait froid dans le dos : c’est celle de la fin de la présomption d’innocence. Loin des tribunaux américains, l’Amérique règle ses comptes avec Al-Qaïd avec une justice d’exception, liberticide et inefficace. Bien que la partie soit déjà jouée dans les esprits de la CIA, rien n’étaye l’intime conviction de la culpabilité de Mohamedou Ould Slahi. Les interrogations s’enchaînent, les déceptions aussi. Face à ce silence, une nouvelle méthode est testée : le programme spécial. Privation de sommeil, simulation d’exécution, atteinte psychologique, la torture est le dernier recours pour soustraire des aveux. Lorsque le corps craque, l’esprit suit, la langue se délie, mais pour dire quoi ? La vérité ou ce que veut entendre le bourreau ? Souillée par la contrainte et les violences, la parole n’a plus la même valeur. Le film exprime bien cette idée de finalité comme nécessité. Un patriotisme aveugle, dangereux.
Un rempart existe néanmoins contre cette dérive : la conscience. Lorsque le lieutenant Stuart Couch, incarné par Benedict Cumberbatch, invoque les valeurs américaines pour demander l’annulation du procès de Mohamedou Ould Slahi, il est perçu comme un traite par son supérieur. Il souhaite que justice soit rendue, mais pas n’importe comment : envoyer un innocent à la mort ne l’intéresse pas. Une rigueur morale qui redonne espoir et contrebalance les excès de Guantanamo. Le personnage de Nancy Hollander, une avocate convaincue que tout le monde a le droit d’être défendu, est un exemple d’intégrité. Avant de se battre pour les gens, elle se bat pour le système, pour un état de droit. Désigné Coupable transpire d’humanité. Il entremêle avec habileté les temporalités, les points de vue et ne perd jamais le cap de son récit. La caméra capte les regards, les visages et restitue au mieux les doutes, les certitudes. Si le cinéaste conserve une certaine distance lors des scènes plus choquantes, son montage efficace et rythmé apporte de la force au récit.
Révoltante, Désigné Coupable est une œuvre engagée qui, sans verser dans le pathos, condamne la torture sous toutes ses formes. Lorsqu’un Etat s’abaisse à pratiquer ce type de violence, il ne vaut pas mieux que ceux qu’il combat. Un biopic soigné et solidement incarné, criant de crédibilité.
RÉALISATEUR : Kevin Macdonald NATIONALITÉ : britannique, américain AVEC : Tahar Rahim, Jodie Foster, Shailene Woodley GENRE : Drame, biopic DURÉE : 2h10 DISTRIBUTEUR : Metropolitan SORTIE LE 14 juillet 2021