Paris, vendredi soir, le 13 novembre 2015. Qui que ce soit en France se souvient de ce qu’il a fait ce soir-là. Tous ont été frappés par l’onde de choc, la spirale de violence qui s’est déchaînée à partir de 21h jusqu’à minuit, dans trois endroits à Paris et en région parisienne, au Stade de France, au Bataclan et sur les terrasses des cafés et restaurants dans les quartiers de Bastille et de République, (10ème et 11ème arrondissements). Jamais la France n’avait autant été touchée en plein coeur par des attentats aussi meurtriers, revendiqués par des commandos de l’Etat Islamique (Daech) : 130 morts, 413 blessés et une multitude d’effets collatéraux. Dix ans après tous ces événements particulièrement traumatisants, c’est justement ces effets collatéraux que Des vivants, la nouvelle série de Jean-Xavier de Lestrade (Soupçons, Un Coupable idéal, 3xManon et Manon : 20 ans, Sambre) met en lumière, afin d’apaiser les tensions et surtout de réparer les vivants.
Vendredi 13 novembre au Bataclan, minuit et demi. Les policiers de la Brigade de Recherche et d’Intervention viennent de libérer les onze otages coincés dans un couloir minuscule du Bataclan par deux terroristes islamistes radicalisés. Le cauchemar semble terminé. En fait, pour la plupart, il ne fait que commencer….Sur les onze otages, sept personnes, (deux femmes, cinq hommes) d’âges et de milieux différents, vont garder des liens et se revoir régulièrement pour se soutenir et s’entraider dans cette épreuve.
Tel est le projet d’Antoine Lacomblez et Jean-Xavier de Lestrade, réparer, soigner, cicatriser les plaies du traumatisme du 13 novembre en réunissant tous les Français au sein d’une grande fiction réconciliatrice.
En réalisant Des Vivants, Jean-Xavier de Lestrade a voulu se focaliser sur ceux qui restent et ont eu la chance de survivre. Dans la même optique optimiste qu’un Spielberg se penchant sur la Shoah et en en retirant La Liste de Schindler, acte de foi et d’espoir, De Lestrade et Antoine Lacomblez, le coscénariste et cocréateur de la série, ont préféré parler, d’après une histoire vraie, des survivants, même si le chemin de la reconstruction s’avère particulièrement long, âpre et difficile. Il y a ainsi : Antoine (Benjamin Lavernhe) et Marie (Alix Poisson), graphiste et cadre dans la communication, un couple dans la quarantaine, qui a réussi à s’en sortir ensemble et élève deux filles en bas âge ; Caroline (Anne Steffens), une personne légèrement handicapée, qui a invité, en tout bien tout honneur, son ami Grégory (Antoine Reinartz) au concert des Eagles of Death Metal ; Stéphane (Cédric Eeckout), chef de projet, père de deux filles, qui essaie désespérément d’avoir un autre enfant avec sa nouvelle compagne, Marie-Claire (Aude Ruyter) ; Sébastien (Félix Moati), amateur de rock, qui est venu au concert avec son pote Jeff ; enfin David (Thomas Goldberg), immigré d’origine chilienne, barman pour des raisons alimentaires et photographe à ses heures perdues, qui vit avec Doris (Megan Northam, jeune comédienne très émouvante), victime collatérale de l’attentat. Tous deviennent au fur et à mesure des amis pour les spectateurs.
Ils vont former le groupe des Potages (contraction entre potes et otages), se retrouvant régulièrement dans des cafés, aux commémorations des attentats, ou aux événements de la vie personnelle de chacun. Les véritables Potages ont d’ailleurs beaucoup participé, en se racontant, à l’écriture de la série. Au fil des épisodes, on les verra donc évoluer chacun à son rythme : Arnaud sombrant dans une profonde dépression et lâchant sa carrière professionnelle ; Marie affichant une bonne humeur proche du déni, et tenant les rênes financières du ménage, avant de craquer vers le sixième épisode lorsque Arnaud ira mieux : Caroline être affectée d’un handicap la condamnant au fauteuil roulant ; Gregory culpabilisant à mort d’avoir aidé les terroristes en cherchant pour eux une sacoche remplie de cartouches, et dont le corps recevra des dizaines d’éclats de balle ; etc. On ne verra pas ou à peine les autres qui ont préféré tourner la page. En revanche, les Potages ont choisi de vivre ensemble cette épreuve de reconstruction, de renaissance, de résilience même, pourrait-on dire, si tous ne détestaient pas franchement ce mot. C’est en se retrouvant, en discutant, en entonnant des chansons (leur amour du rock qui les a rassemblés au concert des Eagles of Death Metal). en blaguant, qu’ils vont progressivement réapprendre à vivre et à vaincre le traumatisme persistant.
Quelques fictions ont déjà montré l’enquête policière pour retrouver les terroristes de l’Etat Islamique (Novembre), l’état de convalescence post-traumatique des survivants des attentats (Revoir Paris, Amanda) ou le processus de reconstruction (la première saison de la série En thérapie). Aucune ne s’est autant focalisée sur l’objectif de réparer les vivants. Comme l’a conceptualisé Emilie Notéris pour les thématiques queer, la fiction peut être réparatrice, en l’entendant de manière plus globale. Tel est le projet d’Antoine Lacomblez et Jean-Xavier de Lestrade, réparer, soigner, cicatriser les plaies du traumatisme du 13 novembre en réunissant tous les Français au sein d’une grande fiction réconciliatrice. Ils ont tout prévu, y compris faire entendre un point de vue différent, à la limite du complotisme, sur l’attentat à travers le personnage de Sébastien ou un dialogue sur l’ouvrage d’Emmanuel Carrère, V13. Pour le titre de leur oeuvre télévisuelle, ils se sont inspirés de la citation de Platonov de Tchékhov « enterrer les morts et réparer les vivants« .
Ont-ils réussi? Quasiment. Grâce à une distribution diversifiée et équilibrée, mélangeant sur un pied d’égalité les valeurs sûres (Lavernhe, Poisson, Reinartz, Moati) et des presque inconnus (Eeckout, Goldberg, Steffens), Lacomblez et De Lestrade parviennent à nous faire croire en leurs personnages, cocasses, émouvants, et souvent poignants, et nous faire souhaiter les suivre du début jusqu’à la fin. De Lestrade aurait pu reproduire le même procédé de récit en point de vue subjectif que dans Sambre. Mais il a préféré avec son coscénariste adopter une narration temporelle « les jours d’après, les semaines d’après, les mois d’après, l’année d’après », choix bien plus judicieux. Seul flottement, les épisodes 6 et 7 auraient peut-être pu être condensés en un seul qui aurait été plus marquant. Au début de la série (pendant les 45 premières minutes de l’épisode 1), on imagine même que la série aurait pu être racontée entièrement par le dialogue, sans flash-backs, mais reconnaissons que ce choix aurait été trop expérimental et suicidaire. En revanche, le choix d’avoir repoussé la narration des quinze dernières minutes de l’assaut final à la fin de l’épisode 7 s’avère absolument magistral. D’un point de vue formel, De Lestrade a resserré son cadre par rapport à Sambre. L’essentiel se passe sur les visages, de manière presque bergmanienne. Il se permet surtout des plans-séquences, jamais ostentatoires, à chaque fois conçus dans le mouvement des personnages. Le meilleur exemple en est le magnifique plan final, un plan-séquence de dix-minutes sur un pique-nique dans la maison de campagne d’Arnaud et Marie, débouchant sur une version acoustique de Get Lucky des Daft Punk, signifiant la guérison possiblement définitive des Potages. De la chance, ils en ont finalement eu, ces (sur)vivants, La vie les attend désormais.
CREATEURS : Antoine Lacomblez et Jean Xavier de Lestrade
NATIONALITÉ : française
GENRE : drame
AVEC : Benjamin Lavernhe de la Comédie-Française, Alix Poisson, Antoine Reinartz, Félix Moati, Anne Steffens, Cédric Eeckhout, Thomas Goldberg.
DURÉE : 8 x 52 mn en moyenne (avec des exceptions, 1h20 pour l'épisode final).
DIFFUSEUR : France 2 à partir du 3 novembre 2025, disponible sur la plateforme de France Télévisions depuis le 27 octobre jusqu'au 15 décembre 2025.


