Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2003, à la suite d’une dispute conjugale, Bertrand Cantat, chanteur du groupe de rock français Noir Désir, roua de coups et s’acharna jusqu’à la mort sur Marie Trintignant, sa compagne, brillante actrice de cinéma, de théâtre et de télévision. Cette phrase a l’air simple à écrire aujourd’hui. Pourtant ce qui relève incontestablement de l’homicide volontaire n’a longtemps pas été admis par l’opinion publique qui, pendant longtemps, a préféré croire aux thèses improbables de l’accident, puis du crime passionnel. De rock star à tueur : le cas Cantat remet heureusement les pendules à l’heure, en relatant de manière précise les faits et en montrant comment une société toute entière s’est laissée prendre au piège de la manipulation d’un pervers narcissique. Netflix qui semble s’être éloigné de sa folie des grandeurs et du rêve d’un triomphe aux Oscars qu’il a longtemps poursuivi en vain, trouve ainsi une nouvelle légitimité en diffusant cette mini-série documentaire de salubrité publique.
En trois épisodes extrêmement denses de 40 à 45 minutes, De rock star à tueur : le cas Cantat revient sur ce tragique fait divers, plus de vingt ans après les faits, Dans le premier épisode, « Un accident? », la série revient sur les deux principaux protagonistes du drame, leur rencontre, puis minute par minute, le descriptif des faits de cette nuit fatale qui a conduit à la disparition de Marie Trintignant. Dans le deuxième segment, « Un crime passionnel? », il s’agit de l’enquête policière autour du meurtre et du procès controversé de Bertrand Cantat à Vilnius, entourés d’une aura médiatique particulièrement désastreuse. Enfin dans le troisième chapitre, « La Malédiction Cantat? », il sera surtout question du rôle ambigu de Kristina Rady, son épouse qui a témoigné pour lui lors de son procès, le dédouanant de toute accusation de violences conjugales, alors que, après sa libération conditionnelle, en s’installant chez elle, il l’a fait apparemment vivre dans un climat de terreur permanente.
Tous les épisodes sont racontés par Anne-Sophie Jahn, la courageuse journaliste du Point qui a osé rompre l’omerta autour de Cantat dans une grande enquête publiée dans son magazine, accompagnée par des témoins proches de l’affaire, Lio, l’une des meilleures amies de Marie Trintignant, Richard Kolinka, son premier compagnon et père d’un de ses enfants, Michelle Fines, journaliste ayant suivi l’affaire en son temps.
Au-delà de Cantat, c’est ainsi le procès de toute une société, la condamnation de gens de pouvoir, d’institutions et d’intellectuels qui préféreront toujours prendre la défense d’artistes, eussent-ils commis les crimes les plus innommables, au détriment des vraies victimes.
Ce qui choque en premier, c’est le comportement de Bertrand Cantat, que l’on découvre lors d’images jamais diffusées de sa première audition : menteur, lâche, immature, voulant faire croire à rebours du bon sens à un accident. Soulignons, pour ne rien arranger, que Cantat s’est même permis des salves d’humour de mauvais goût : « la prochaine fois, je noterai plus précisément les détails (sic) ». Le scandale, c’est également le fait atterrant qu’il ait attendu plus de six heures pour conduire Marie Trintignant à l’hôpital, ce qui équivaut à de la non-assistance à personne en danger. Au vu des résultats de l’autopsie, ce qui choque encore plus, c’est l’extrême violence des coups assénés, une vingtaine de coups à mains nues, par « des paluches énormes », ce qui laissait très peu de chances à Marie Trintignant de s’en sortir vivante. Ce que l’on constate aussi lors de la deuxième audition, en présence de la justice et de la police françaises, c’est que Cantat, ne pouvant plus nier les faits, réussit pourtant à se victimiser en jetant le discrédit sur Marie Trintignant qui l’aurait frappé et en versant, en très mauvais comédien, des larmes de crocodile qui ne tromperaient que les moins perspicaces. Malheureusement la stratégie manipulatrice de Cantat, en plus de l’aveuglement de ses fans, a porté ses fruits et particulièrement nui à ce qui pouvait leur rester de lucidité. La thèse du crime passionnel a prévalu dans la presse et les médias sur l’homicide volontaire, ces derniers faisant ainsi preuve d’une surprenante empathie, voire d’une miséricorde peu justifiable envers un meurtrier.
Au-delà de Cantat, c’est ainsi le procès de toute une société, la condamnation de gens de pouvoir, d’institutions et d’intellectuels qui préféreront toujours prendre la défense d’artistes, eussent-ils commis les crimes les plus innommables, au détriment des vraies victimes. Marie Trintignant appartenait pourtant aussi au monde des arts et du spectacle. Mais selon le raisonnement tacite et cynique des maisons de disques, un chanteur vivant vaudra toujours mieux qu’une actrice morte. En l’occurrence, c’est Pascal Nègre d’Universal qui prétendra ne pas être concerné par la vie privée de l’artiste, en préférant sans doute contempler les admirables chiffres de vente des albums de Noir Désir. C’est Arnaud Viviant des Inrocks et Libération qui honnira la soi-disant vie privée dissolue de Marie Trintignant, histoire de salir l’image de la victime, pour réévaluer son criminel. C’est Thierry Ardisson qui donnera la parole à Xavier Cantat, frère du meurtrier, pour accréditer encore davantage la thèse du crime passionnel.
Certes le même Ardisson a organisé un débat plus équilibré sur l’affaire Cantat/Trintignant entre Muriel Cerf, écrivaine surdouée, et Lio, chanteuse affectée par la perte de son amie. Rendons grâce à Lio : à l’époque, presque seule contre tous, elle a su défendre Marie et oser affirmer que l’amour ne doit pas conduire à la mort, que cette vision pseudo-romantique n’était qu’une simple aberration.
Mine de rien, cette mini-série documentaire réussit à dresser le procès de toute une société patriarcale qui défend les hommes agresseurs contre les femmes victimes, dans la lignée du soutien reçu par Polanski, Brisseau, Depardieu, etc. On retrouve d’ailleurs souvent les Inrocks en pointe dans cette défense des privilèges douteux des artistes plus ou moins grands. Mais cette description s’assombrit encore lorsqu’on apprend que Kristina Rady a sans doute pâti des violences de Cantat et du climat d’oppression psychologique qu’il faisait régner autour de lui, après Vilnius et malheureusement sans doute aussi avant. Un dossier médical le confirme ainsi qu’un membre resté anonyme de Noir Désir : deux à trois anciennes compagnes de Cantat seraient concernées. Tout un système a protégé Cantat, couvrant ses violences passées, présentes et futures : sa maison de disques, les membres de son groupe, son ex-femme. Sans ces diverses protections, il aurait pris quinze à vingt ans de prison au moins, et n’aurait jamais obtenu de remise de peine, au bout de quatre ans, soit la moitié de sa condamnation. Comme le souligne dans une phrase terrible, Georges Kiejman, l’avocat de la famille Trintignant, « à chaque fois que ses femmes sont en train de mourir, Cantat dort« .
Réalisée sur un rythme trépidant, sans le moindre temps mort, De rock star à tueur : le cas Cantat, marque indubitablement les esprits. Il faut avant tout saluer le courage d’Anne-Sophie Jahn qui a su réaliser une véritable enquête documentaire et mettre au clair des points non résolus ; la lucidité de Lio, la première à avoir porté une parole publique juste sur cette affaire ; le calme inquiet de Richard Kolinka qui doute que cela ait pu faire changer d’avis l’ensemble des Français. Si l’on en croit les concerts toujours complets de Cantat, il faudrait en déduire que, pour l’instant, les fans de Cantat se sont décidés à séparer l’homme de l’artiste et se soucient comme d’une guigne du sort de Marie Trintignant. Or ce public, fan du groupe dans les années 90, a vieilli. Ce n’est plus le public d’aujourd’hui qui considère tel artiste sur bien d’autres critères. De plus, la mini-série elle-même peut faire office d’onde de choc dans l’ensemble de la France (du moins dans celle des abonnés de Netflix) et constituer le départ d’un autre regard sur cette affaire : un regard qui nommerait l’affaire Cantat/Trintignant, non plus du nom mensonger et trompeur de crime passionnel mais lui substituerait enfin la qualification plus juste de féminicide.
RÉALISATEUR : Anne-Sophie Jahn, Nicolas Lartigue, Zoé de Bussierre et Karine Dusfour NATIONALITÉ : française GENRE : mini-série documentaire AVEC : Lio, Anne-Sophie Jahn, Richard Kolinka, Michelle Fines DURÉE : 40 à 45 mn par épisode (3) DIFFUSEUR : Netflix SORTIE LE disponible à partir du 27 mars 2025