Parfois les cinéphiles utilisent exactement les mêmes critères pour juger d’un blockbuster d’action que d’un film d’auteur, ce qui induit forcément un jugement défavorable pour les premiers. Quelle erreur! Pourtant dire que ces films, de Bruce Lee à Jackie Chan, de James Bond à Mission : Impossible, de James Cameron à John McTiernan, ou de John Wick à Ballerina, ne seraient pas du cinéma, sous prétexte qu’ils n’obtiendront jamais l’Oscar du Meilleur film ou la Palme d’or à Cannes, est une proposition qui s’effondre d’elle-même sous le poids de sa prétention. Souvenons-nous de Robert Bresson qui avait adoré une séquence d’un James Bond et le confiait timidement à Michel Ciment, en lui faisant jurer de ne pas reproduire ses propos, de peur d’offusquer ses austères admirateurs. Le cinéma d’action fait partie du cinéma, et parfois même sert davantage ses intérêts que les pseudo-auto-fictions qui ne finissent plus de garnir les étagères des films non vus et des vidéos laissées à l’abandon. Ballerina est donc le spin-off de la franchise de John Wick et nous présente, cf. l’air du temps, une toute nouvelle héroïne en quête de vengeance, à la fois danseuse émérite et tueuse aguerrie,
Eve Macarro, une danseuse de ballet, est initiée aux traditions d’assassin des Ruska Roma et entreprend de se venger de ceux qui sont responsables de la mort de son père.
Ballerina fait partie des plaisirs plutôt jouissifs et jubilatoires, qui peuvent aider à décompresser son esprit, sans la moindre honte ni le plus petit soupçon de culpabilité.
Se situant en parallèle du troisième film de la franchise John Wick, John Wick Parabellum, Ballerina inaugure donc un spin-off dédié, signe des temps, à une femme. On y retrouve le même soin apporté à la direction artistique, à la beauté de la photographie, à des dialogues extrêmement écrits, se démarquant de la vulgarité habituelle des dialogues des action movies ainsi qu’à une distribution hors pair (Gabriel Byrne, Anjelica Huston, Lance Reddick, Catalina Sandino Moreno, l’excellente Victoria Comte en Eve enfant, et même une apparition-clin d’oeil d’Anne Parillaud en réceptionniste d’un hôtel de Prague) que dans la franchise John Wick. Il se murmure que Chad Stahelski, le responsable de la franchise John Wick, aurait donné un coup de main à Len Wiseman, le metteur en scène des deux premiers Underworld, ce qui expliquerait le délai existant entre le tournage et la sortie (presque deux ans). Quoi qu’il en soit, le rendu esthétique de Ballerina est extrêmement satisfaisant ; assurément les responsables du spin-off ne se moquent pas des spectateurs et les respectent.
Puisque nous avons cité le nom de l’ex-Nikita dans la distribution, mentionnons aussi que, par son rythme et son esthétisme, Ballerina renvoie le film de Luc Besson à un lointain passé. Certes, il s’agit ici peu ou prou de la même sempiternelle histoire de vengeance (après tout Tarantino, dans Kill Bill, n’a guère fait plus sophistiqué) mais les moyens pyrotechniques mis en oeuvre sont sans commune mesure avec la petite production française des années 90. Même si elle ne dévie pas du schéma attendu : mort du protecteur, entraînement et initiation à l’art de la tueuse, mise en action), Ballerina accomplit son programme sans temps morts (sans jeu de mots), en associant esthétisme de l’image et sens du montage, et en alternant séquences hallucinantes de castagne et échanges dialogués posés et presque zen.
Néanmoins, avouons que toutes ces qualités ne seraient pas efficientes si, au coeur du film, ne se trouvait pas la merveilleuse Ana de Armas. Cette dernière a gagné ses galons d’héroïne de film d’action grâce à sa magistrale séquence dans Mourir peut attendre, le dernier James Bond en date, où, en Paloma, espionne cubaine novice et plus ou moins maladroite, elle éclipsait le reste de la distribution, par sa décontraction suprême, ainsi que, disons-le tout net, tout le reste du film. Ballerina tire partie au maximum de son petit gabarit explosif et du contraste entre le cynisme de ses combats et de son joli regard candide. Contrairement à la franchise John Wick qui fait paraître Keanu Reeves de plus en plus invincible, Ana de Armas est montrée fragile et parfois blessée, ce qui fait que le spectateur ne peut oublier sa vulnérabilité intrinsèque qui apparaît de manière flagrante dans son regard. Elle ne s’en montre pas moins spectaculaire dans tous ses combats, prête à dégainer et à faire le coup de poing avec les accessoires les plus inattendus (grenades, patins à glace en guise de gants de boxe). Le film ménage même une savante gradation dans les combats puisqu’il faudra attendre la dernière demi-heure pour que Eve effectue un combat en cuisine, utilise le sabre à la manière de Black Mamba ou se retrouve dans un final dantesque, évoquant les combats de dragon dans Game of Thrones, qui oppose un lance-flammes à une lance en incendie, séquence d’anthologie dans ce type de films.
Alors certains, lassés par l’aspect répétitif de la chose, pourront considérer qu’au bout de la troisième fusillade ou bagarre, le film persiste dans le côté abrutissant et évacue toute subtilité. Nous ne nous trouvons certes pas chez Eric Rohmer et ses marivaudages enchantés. Mais le film dispose d’autres qualités, dont celles d’explorer au maximum ses multiples décors, le parallélisme du montage entre ballets et assassinats ainsi que les ressources des effets spéciaux et des cascades, par la profondeur de champ travaillée de sa mise en scène. Len Wiseman s’est peut-être souvenu de Robert Bresson et a ainsi placé la dernière partie de son film, sous une neige spectrale qui rend magnifiquement bien à l’image, en particulier sous les jets de flammes. En bref, Ballerina fait partie des plaisirs plutôt jouissifs et jubilatoires, qui peuvent aider à décompresser son esprit, sans la moindre honte ni le plus petit soupçon de culpabilité.
RÉALISATEUR : Len Wiseman NATIONALITÉ : américaine GENRE : action, espionnage, thriller AVEC : Ana de Armas, Anjelica Huston, Gabriel Byrne, Lance Reddick, Catalina Sandino Moreno, Ian McShane, Norman Reedus, Keanu Reeves DURÉE : 2h05 DISTRIBUTEUR : Metropolitan Filmexport SORTIE LE 4 juin 2025