Dahmer : portrait d’une Amérique monstrueuse

Depuis sa sortie le 21 septembre dernier, Dahmer n’en finit plus de faire parler. D’abord acclamée pour la performance remarquable de son interprète principal – Evan Peters (American Horror Story, Mare of Easttown, WandaVision) – la mini-série se retrouve depuis quelques jours au coeur de la tourmente. Les familles des victimes, qui n’ont pas été consultées en amont du projet, se sont exprimées dans les médias pour dénoncer un manque de considération et un traumatisme ravivé. Cette polémique témoigne, s’il en fallait, de la difficulté de fictionner des faits divers aussi sensibles surtout quand il s’agit d’événements relativement récents. Si le bien-fondé de l’entreprise peut être discutable, on ne peut que saluer le traitement approprié des deux créateurs – Ian Brennan et Ryan Murphy (le duo à l’origine de Glee, Scream Queens, Hollywood et The Politician)– qui ont pris soin de ne pas faire de ce récit une ode à la gloire du meurtrier.

Le pilote de la mini-série se déroule en 1991 juste avant l’arrestation de Jeffrey Dahmer alors qu’il s’apprête à faire une nouvelle victime. Un choix qui n’a rien d’anodin car en nous plongeant directement en pleine scène d’horreur, les créateurs veillent à évincer tout sentiment d’empathie envers le personnage. Ce n’est qu’après ce premier épisode, particulièrement éprouvant de par son atmosphère pesante et glauque, que la série explore plus en profondeur le passé du tueur et son escalade meurtrière pour aboutir dans une seconde partie au procès et à la difficile reconstruction des familles des victimes.

Au fur et à mesure des épisodes, se dessine en filigrane une certaine vision de l’Amérique dont les institutions gangrénées par le racisme et l’homophobie ont failli à leur devoir de protection.

Cette distance qui est installée dès le départ entre le spectateur et le tueur est consolidée par la suite avec la multiplicité des points de vues proposés. On dispose de celui de sa voisine Glenda, auquel on s’identifie très facilement, mais aussi de celui de ses parents et surtout, le plus important, de celui des victimes. Lorsque Jeff ramène le jeune Ronald dans la maison de sa grand-mère dans l’épisode 5, Du sang sur les mains, la caméra ne suit pas le tueur dans la cuisine alors qu’il prépare une boisson pour le droguer mais reste avec la potentielle victime inquiète dans le salon. Et l’épisode suivant intitulé Passé sous silence, très poignant, est entièrement consacré à la vie de Tony Hughes, aspirant mannequin sourd et muet avec lequel Dahmer a entamé une relation avant de le tuer. En offrant un point de vue, un regard, aux victimes, la série leur redonne une humanité – celle dont leur assassin les a privé – et tente ainsi d’honorer leur mémoire.

Mais Dahmer n’est pas le simple portrait d’un tueur en série. Au fur et à mesure des épisodes, se dessine en filigrane une certaine vision de l’Amérique dont les institutions gangrénées par le racisme et l’homophobie ont failli à leur devoir de protection. A de multiples reprises, la série nous donne à voir les manquements de la police et du système judiciaire qui, malgré les inquiétudes et les alertes de ses concitoyens – symbolisées par le personnage de Glenda Cleveland (Niecy Nash) – ont préféré se mettre des oeillères plutôt que d’affronter une réalité qui les dérangeait. Les deux créateurs pointent du doigt la défaillance d’une nation qui, aveuglée par la haine et l’ignorance, n’a pas su stopper la folie meurtrière de Jeffrey Dahmer.

Attiré depuis toujours par le thème des sérial killers – comment oublier la mythique scène du diner de tueurs (avec la présence de Jeffrey déjà) dans la saison 5 de sa série American Horror Story – Ryan Murphy tente cette fois-ci de coller au maximum à la réalité tout en accentuant certains détails pour appuyer son propos. Ce qu’il dénonce dans Dahmer ce sont les dysfonctionnements d’une société aussi monstrueuse que les criminels qu’elle poursuit et qui a contribué indirectement à leur prospérité. Un récit glaçant qui nous fait frissonner à bien des égards.

4

CRÉATEURS :  Ian Brennan et Ryan Murphy
NATIONALITÉ : Américaine
AVEC : Evan Peters, Niecy Nash, Richard Jenkins
GENRE : Biopic, Thriller, Drame
DURÉE : 10x 45-63mn 
DIFFUSEUR : Netflix
SORTIE LE 21 septembre 2022