Daddio : Night on earth

Les trajets en taxi ont souvent inspiré les cinéastes, de l’immense et électrique Palme d’or de Martin Scorsese, Taxi Driver, aux balades iraniennes de Kiarostami (Le Goût de la cerise, Ten) et Panahi (Taxi Téhéran), en passant par la collection de courts métrages de Jim Jarmusch, variant les pays, les conducteurs et les clients, Night on earth. Pour son premier film, qu’elle a elle-même écrit, Christy Hall n’a donc pas choisi la facilité. Il s’agit même d’un sacré pari expérimental de cinéma, faire tenir une conversation entre une cliente et son chauffeur en une heure et demie, en faisant oublier les contraintes de l’exercice. Pari presque gagné, sans que le film soit exceptionnel ni inoubliable, dans un dispositif psychanalytique qui, entre banalités de comptoir et recherche existentielle, permet de faire briller un beau duo d’acteurs;

À l’aéroport JFK de New York, un soir, une jeune femme monte à l’arrière d’un taxi. Tandis que le chauffeur démarre sa voiture en direction de Manhattan, ces deux êtres que rien ne destinait à se rencontrer entament une conversation des plus inattendues…

Un dispositif psychanalytique qui, entre banalités de comptoir et recherche existentielle, permet de faire briller un beau duo d’acteurs;

Dakota Johnson, fille de Melanie Griffith (Body Double, Le Bûcher des vanités de De Palma) et petite-fille de Tippi Hedren (Les Oiseaux et Marnie d’Hitchcock), a signé une sorte de pacte faustien, en exposant son corps nu dans la calamiteuse franchise 50 nuances de Grey, en échange d’une célébrité mondiale. Depuis, elle semble vouloir prouver qu’elle n’est pas seulement une plastique somptueuse mais également une actrice talentueuse. Mais les temps ont changé : alors que sa grand-mère et sa mère pouvaient compter sur Hitchcock ou De Palma, d’immenses artistes, Dakota ne peut se reposer que sur Luca Guadagnino (A bigger splash, Suspiria), ce qui, avouons-le, n’est pas exactement de la même nature. Elle a d’ailleurs compris son problème et confie désormais ses apparitions à des réalisatrices Maggie Gyllenhaal (The Lost Daughter) et donc Christy Hall (Daddio dont Dakota Johnson est aussi productrice).

Le défi cinématographique de Daddio ressemble assez à la conversation informelle de My dinner with André de Louis Malle, sauf qu’il s’agit davantage de confessions réciproques. Le dispositif logistique du taxi s’apparente en fait à un confessionnal ou une séance de psychanalyse sur divan, sauf qu’ici le chauffeur s’expose tout autant, sinon plus, que son énigmatique cliente. Tout le film est constitué d’ailleurs d’une compétition bizarre où la cliente et son chauffeur tâcheront de s’épater l’un l’autre et de s’apprivoiser à coups de révélations plus ou moins tordues et fracassantes. Jusqu’au bout de la nuit, chacun essaiera grâce à l’autre de parvenir à trouver sa vérité.

Dans son écriture, Christy Hall n’évite pas toujours l’étalage plus ou moins volontaire de banalités (au début du film, le discours quasi-réac de Clark le chauffeur sur les applications, et plus tard, sa préférence avouée pour les femmes intellectuellement limitées). On échappe néanmoins de peu au trauma incestueux qui pointe le bout de son nez mais heureusement l’héroïne n’a jamais été réellement touchée par son père, ce qui constitue pour elle un autre trauma affectif dont elle ne s’est jamais remise, ce pour quoi elle recherche des aventures avec des hommes plus âgés. Reconnaissons à Christy Hall qu’elle tient le pari de confronter deux solitudes face à l’autre et qu’elle ne tombe pas dans le piège facile de faire de son chauffeur un voleur, un meurtrier ou un agresseur sexuel. Le sexe, ingrédient qui fait partie du « background » de Dakota Johnson, apparaît furtivement via un échange de sms sur un téléphone portable. Côté mise en scène, Daddio prouve une nouvelle fois la merveilleuse cinégénie nocturne de New York, ainsi que le goût musical de Christy Hall qui a fait appel à l’ex-violoniste des Tindersticks, Dickon Hinchliffe.

Clark n’est en fait qu’un brave type qui aime parler, raconter des histoires parfois plus invraisemblables les unes que les autres (celle des culottes au Japon), et en apprendre le plus possible, sans avoir l’air d’y toucher, sur ses passagers provisoires. Avec son magnétisme tranquille, Sean Penn, l’acteur doublement oscarisé (Mystic River, Harvey Milk), illumine son rôle. Dakota Johnson n’a pas eu peur en tant que productrice de se confronter à lui (ils sont voisins dans la vie) et même si elle ne parvient pas à l’égaler, ne démérite nullement (cf. sa confession finale). Daddio a ainsi le goût des rencontres éphémères, des gens qu’on croise et qu’on ne reverra jamais plus, mais qui nous auront peut-être permis d’apprendre quelque chose sur notre vie.

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RÉALISATRICE : Christy Hall
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : drame, road movie
AVEC : Dakota Johnson, Sean Penn
DURÉE : 1h40 
DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport 
SORTIE LE 4 décembre 2024