Cry Macho : le dernier des géants

Déjà sorti aux Etats-Unis, le 39ème et nouveau film de Clint Eastwood Cry Macho met une fois de plus en scène à plus de 90 ans la figure iconique du beau cow-boy solitaire et divise la critique. Alors qu’il s’était écoulé dix ans entre Gran Torino (2008) et La Mule (2018), seulement trois ans séparent ce dernier du nouvel opus, Cry Macho. Le temps presse : Clint Eastwood n’a plus le temps d’attendre s’il veut paraître encore à l’image. Depuis Million dollar baby, comme Charles Aznavour à son époque, Clint Eastwood n’en finit plus de faire ses adieux au cinéma en tant que comédien. A partir de Mystic River (2003), il est possible de considérer que deux filmographies parallèles se sont établies au sein de celle de Clint Eastwood : celle des films sans Eastwood comédien qui s’est de plus en plus développée, alors qu’elle ne comptait que trois opus auparavant (Breezy, Bird, Minuit dans le jardin du bien et du mal) ; celle des films avec Eastwood qui comporte maintenant la proportion inverse, hormis Million Dollar Baby précité, uniquement trois films : Gran Torino, La Mule, Cry Macho, tous les trois écrits par Nick Schenk, constituant donc ce qui pourrait être qualifié de trilogie, celle de l’adieu à un personnage de cow-boy solitaire, une légende vivante.

Mike Milo, ancienne star de rodéo, s’est reconverti comme cow-boy de ranch. Son ancien employeur, Howard Polk, qui l’a licencié un an plus tôt pour négligence, le recontacte pour lui confier une mission, ramener son fils Rafa né d’une idylle avec une riche et accorte Mexicaine. Mike accepte mais ne sait pas que cette mission va le conduire vers des découvertes imprévues…

Avec un savoir-faire certain qui confine à l’épure, Eastwood distille ici l’essence de son cinéma, ce qui rend Cry Macho rare, précieux et indispensable.

Cry Macho, sorti aux Etats-Unis, s’y est pris une fracassante volée de bois vert, quelques critiques évoquant même un film mièvre et raté, d’autres un possible déclin définitif Avec un certain manque de classe et d’élégance, Paul Schrader, en pleine tournée de son propre film The Card Counter, n’y est pas allé de main-morte, évoquant pour Cry Macho l’un des plus mauvais films tournés par un réalisateur important depuis Le Sport favori de l’homme de Howard Hawks. Qu’en est-il réellement au visionnage de ce film élégiaque et crépusculaire?

Le début fait en effet un peu peur. Le cow-boy solitaire réapparaît mais lorsque sa botte de cow-boy descend de son van, le pas est tremblant et mal assuré, la voix n’est plus qu’un murmure, le visage se minéralise de plus en plus, la silhouette est plus voûtée que d’habitude. Comme l’énonce l’expression consacrée, on a presque l’impression de voir la mort au travail. Mais Eastwood est un diable d’homme qui fait évidemment exprès de surjouer la vieillesse qu’il ne ressent pas (encore). Souvenons-nous de ces plans en clair-obscur dans Million Dollar Baby qui faisaient ressembler son visage à une tête de mort, à son enterrement en grande pompe dans Gran Torino ou des signes exagérés de vieillissement dans La Mule. Comme souvent, Clint défie la mort, lui fait un pied-de-nez incessant.

Il ne faudra pas longtemps pour qu’en dépit de ses 90 ans passés, Clint Eastwood retrouve la vitalité qu’il avait soigneusement cachée afin de ménager ses effets et pouvoir monter en puissance tout au long de son film. Schrader et les détracteurs de Cry Macho ont donc largement tort ; les plus mauvais films d’Eastwood demeurent plutôt Au-delà ou toute la seconde partie du 15h17 pour Paris. Avec Cry Macho, Clint Eastwood boucle (provisoirement?) une trilogie, celle de l’adieu à son personnage cinématographique mais surtout raccroche son nouveau film à toute une série de films d’initiation et de transmission qui représentent peut-être la plus belle veine secrète de son oeuvre. Cry Macho est en effet un film de transmission, tout comme Honkytonk Man, Un monde parfait, Million Dollar Baby ou Gran Torino, où Eastwood lègue tout son amour de la vie à de potentiels héritiers, en l’espèce ici, un jeune métis mexicain. Eastwood mène son film à son rythme, nonchalant et relâché, ce qui explique que ce film est sans doute moins abouti que les films précités, mais il n’en reste pas moins précieux.

La principale difficulté provient du fait que Cry Macho était un projet que Eastwood aurait dû normalement adapter à la fin des années 80, voire au début des années 90. Il aurait eu 60 ans environ, ce qui aurait mieux fait passer certaines scènes de séduction improbables, en particulier celle des avances de la mère de Rafa au personnage de Mike, affichant quand même 80 ou 90 ans au compteur. Néanmoins, ce qui paraît impossible au commun des mortels du même âge, séduire une femme qui a la moitié, voire le tiers de son âge, n’est pas impossible pour Clint, incorrigible galant. Cela reste du cinéma, avec toute la part de fiction qui lui appartient. Idem pour les scènes d’action où Eastwood est obligé d’évacuer toutes les confrontations et de les résoudre miraculeusement par un deus ex machina, là où avec un flingue, il aurait terminé le conflit en deux temps trois mouvements.

Pourtant, en dépit des quelques invraisemblances engendrées par ce décalage temporel, cette oeuvre distille un charme ineffable, rare et certain, celui des dernières oeuvres apaisées. Il suffit à Eastwood de filmer sa silhouette sur fond de soleil couchant ou en dialogue avec son jeune interlocuteur pour justifier entièrement le film. Mike apprend autant de Rafa que ce dernier de lui, ce qui fait échapper le film à une pesante leçon de choses à sens unique. Comme l’indique le titre, Cry Macho est aussi une réflexion sur la virilité qui, contrairement à ce qui se passe ces derniers temps, ne relève aucunement de l’insulte et du mépris envers les femmes, mais de s’assumer en tant qu’homme, avec ses devoirs, ses missions et une éthique. Eastwood, avec beaucoup d’humour, en écho à notre époque troublée, énonce que « être macho, c’est complètement surévalué » tandis que Rafa persiste et signe dans l’éloge du macho via son coq fétiche. La fin donnera plutôt raison à Rafa, même si Mike a surtout pour principal objectif de rejoindre une communauté et un havre de paix qui ressemble beaucoup à la cafétéria de la fin de Million Dollar Baby. Clint Eastwood a déjà enterré son personnage dans Gran Torino, il ne le refait donc plus et le laisse dans sa quête éperdue de bonheur. Avec un savoir-faire certain qui confine à l’épure, Eastwood distille ici l’essence de son cinéma, ce qui rend Cry Macho rare, précieux et indispensable.

3.5

RÉALISATEUR :  Clint Eastwood
NATIONALITÉ : américaine
AVEC : Clint Eastwood, Dwight Yoakam, Daniel V. Graulau
GENRE : Drame, Western
DURÉE : 1h44
DISTRIBUTEUR : Warner Bros France
SORTIE LE 10 novembre 2021