Michel Hazanavicius, porterait-il bien son nom de telle sorte que, si l’on s’en tient aux sonorités, c’est un cri de joie qu’il nous offre à entendre et à voir, hosanna hosanna et en route pour la joie, mais suffisamment décalé pour qu’il soit vicious, vu le nombre de références explicites ou implicites qu’il dé.range pour mieux s’en servir ou mieux s’en moquer… va savoir, tant tout est embrouillé…
Coupez ! remake d’un film de série Z japonaise au titre presque éponyme (Ne coupez pas !) consiste en une série de reprises volontairement décalées. On assiste ainsi d’abord à l’histoire et au pastiche du film de zombies : celui original de Shin’ichirô Ueda dont le cinéaste garde la structure rétrospective en trois morceaux remontant le temps comme l’annoncent les cartons – film fini, préproduction et sorte de making-of. D’abord, comment passer à côté de l’effet clin d’œil au Festival cannois 2019 qui offrait en ouverture le dernier long métrage de Jim Jarmush, The dead don’t die – Michel aurait pu intituler son film The cinema don’t die, mais c’eût été perçu comme prétentieux. Par effet de conséquence, le film est un pastiche du genre comme il en fait l’éloge pour la modestie qui le caractérise : exemples, le film devait s’appeler Z – mais la référence au symbole des chars russes en pleine crise ukrainienne a été supprimée au titre de la solidarité assumée du cinéaste –, on assiste à la mise en récit et en scène d’un réalisateur, Rémi (Romain Duris) aussi nulles que les qualités qui ressortent de l’ensemble de l’équipe du film, depuis les acteurs et actrices (en passant par Ava/Matilda Lutz ou Raphaël/Finnegan Oldfield) jusqu’aux techniciens et techniciennes (Laura/Agnès Hurstel ou Fredo/Charlie Dupont) quand le personnage n’est pas les deux (Nadia soit Bérénice Bejo, actrice, maquilleuse et son épouse), hommes femmes confondus, capables de produire des scènes d’un ennui fatal par manque de créativité ou d’humilité ou tout simplement par incompétence, au point que les moments voulus comiques deviennent les plus dramatiques (cherchez l’erreur !) ou que les gags deviennent dignes du blond à la chaussure noire (perchiste qui se fait emporter avec le matériel qui se casse, cadreur qui se fait écraser par une portière de voiture et en perd sa caméra ou qui accroche son pantalon à un crochet qui le fige au service d’un plan sur… rien) mais je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans, etc. Hazanavicius ne serait-il pas en… régression ?
Le film crie, pleure, vomit, parle ainsi beaucoup mais pour ne pas dire grand-chose que des clichés répétés, ou faire des démonstrations archaïques.
Parce que couper n’est pas facile, Hazanavicius ne s’arrête pas là : au milieu d’un ensemble d’acteurs anonymes, il n’hésite pas à faire formuler par les personnages des références directes (Lars von Trier ou Quentin Tarantino) à un certain cinéma, à une certaine vision, comme il se réfère de façon indirecte au jeune cinéma actuel (avec des références à Quentin Dupieux, cité au générique de fin) : trop de concept, trop de violence, trop de comique – soit tout ce que n’est pas ce film – à dénoncer des extrêmes ou les envelopper par son goût un peu trop prononcé pour le fourre-tout. Parce qu’ici tout y passe ! Quand le producteur français, Mounir, est d’origine maghrébine, le mixeur son, Fatih, est noir, deux cultures qui viennent s’opposer à celle japonaise de la distributrice (une caricature psycho rigide) et de sa traductrice, lesquelles caractérisent les Français de glandeurs assumés tant ils font de pauses ! Ce sont aussi les femmes qui sont montrées comme hystériques (pour exemple, l’actrice car créatrice de dommages durant les tournages, quand ce n’est pas leur fille, capable de faire chialer une enfant comédienne à cause d’un liquide de larmes artificielles ), inconséquentes avec les assistantes, inconscientes avec l’allaitante, personnages féminins en opposition avec les hommes je-m’en-foutistes, alcoolique, ignorants, quand ils ne se mettent pas à péter ou à pleurer. Le film crie, pleure, vomit, parle ainsi beaucoup pour ne pas dire grand-chose que formuler des clichés répétés, ou faire des démonstrations archaïques. Sans compter l’idée du milieu familial avec le père, la mère et l’enfant (elle est d’ailleurs née divine avec son idée de génie de fabriquer une échelle humaine à la place d’une échelle, qui arrivera dans la dernière image du générique de fin pour dernier gag, mon Dieu, dommage tout le monde était parti), et les membres mêmes du clan Hazanavicius telles Romy ou Manon (respectivement Simone ou Raïka Hazanavicius). Miroir, mon beau miroir…
Ou alors seraient-ce les effets du confinement – car c’est un film malade, et non de malade, avec tout le sang qu’on y voit, que les personnages reçoivent, dans ce presque huis-clos de supermarché désaffecté aux couleurs pop et surannées à la fois, et dans les escaliers duquel le cinéaste en abyme monte et descend les étages pour vaquer à toutes ses taches, ah cinéaste, quel dur métier ! – qui aurait amené à ce cynique système de poupées russes (dommage !), à ce décalage général où le sans queue ni tête (c’est le cas de le dire) seraient défendus dans un monde poli et policé (derrière de fausses apparences de monde décalé) pour vanter les mérites de la fusion entre les différents corps de métier du cinéma, la nécessaire solidarité pour parvenir à une issue (préférez arrêter ?) et l’esprit bon enfant qui doit y régner. Bref… et de deux choses l’une. Soit l’on considère que ce film, fidèle aux OSS du cinéaste, tombe à pic post-confinement, au titre cathartique (mais alors il ne fallait pas forcément parler que de cinéma, parce qu’uniquement de soi-même) et au titre comique parce qu’on en aurait besoin (mais qu’est-ce qui est drôle après tout dans ce récit foutraque qui hurle pour ne rien crier), soit on s’interroge sur la nécessité d’alléger une Ouverture de Festival qui se maintient envers et contre tout – contre les artistes russes par exemple, dans le même temps qu’elle fait précéder ce film de discours politiques, engagés, graves et sérieux cf. la situation ukrainienne –, parce que, peu, importe, comédie même pas drôle, absurdité devenue crétinerie, soucis communs peu mis à distance (tout y passe encore par la bouche d’un acteur donneur de leçons, qui, lui, sait que le consumérisme, le capitalisme, l’esclavagisme, la maltraitance sont de ce monde), parce que ce qui compterait le plus serait juste de faire du cinéma, même un cinéma de merde, même un cinéma de rien, même du rien tant que « vite fait, bien fait, pas cher et le public est content ». Non tout n’est pas leçon de cinéma ni sur le monde, malgré toute la bonne foi ou la modestie qui peut caractériser celui qui les fait, tout n’est pas des « hobby » (l’écrit ne nous permet pas de rendre à l’identique le jeu de mots sonore avec zombies qui s’effectue lors d’un dialogue improvisé lorsque la moitié de l’équipe du film est hors-jeu), et le cinéma, comme n’importe quel art, est bien travail, création, inventivité, et passion. Si l’on ne doute pas du caractère passionné de Michel Hazanavicius à exprimer à ses étudiants de la Fémis ce qu’est un plan (et notamment séquence), il ne lui reste plus qu’à exprimer à son public moins averti ce qu’est son plan, et sa crédence, pour qu’au titre du culte, l’on cerne mieux ce qu’il révère…
RÉALISATEUR : Michel Hazanavicius NATIONALITÉ : France AVEC : Romain Duris, Bérénice Béjo, Grégory Gadebois, Finnegan Oldfield, Matilda Lutz, Lyes Salem, Agnès Hurstel, Simone et Raïka Hazanavicius, Charlie Dupont, Jean-Pascal Zadi GENRE : Comédie absurde DURÉE : 1h50 DISTRIBUTEUR : Pan Distribution SORTIE LE 18 mai 2022