Peu de cinéastes ont autant mis leur caméra au service de la capacité du cinéma à réunir authenticité et fiction qu’Abbas Kiarostami. Connu pour son style unique, laissant affleurer la vie courante au sein de la fiction, Kiarostami est célébré pour son habileté à faire émerger la vérité et l’authenticité entre les lignes, entre chaque plan de ses films. Avec Copie conforme, le réalisateur iranien propose son premier long métrage européen, tourné en trois langues en Italie. Candidat à la Palme d’or au Festival de Cannes en 2010, Juliette Binoche y sera distinguée du prix d’interprétation féminine. Plus cérébral et dialogué que d’autres de ses films, Copie conforme se distingue assurément de la filmographie du réalisateur, tout en continuant à creuser les questionnements qui lui sont chers, interrogeant la place du cinéma entre vérité et fiction, entre réel et reproduction, entre authentique et copie. À mi chemin entre l’essai théorique et le film d’auteur, le film sera reprojeté à l’occasion de la rétrospective en l’honneur d’Abbas Kiarostami organisée au Centre Pompidou ce 24 juillet – l’occasion, à deux jours de la conclusion de la rétrospective, d’interroger avec un regard critique la pratique du réalisateur et de prendre de la hauteur sur l’ensemble de son œuvre.
Alors qu’un essayiste anglo-saxon donne une conférence sur son dernier livre, intitulé Copie Conforme, il rencontre une jeune galeriste francophone. Tandis que les deux se retrouvent pour une expédition en voiture dans un village des environs de Florence, leur conversation s’envenime : dans un débat où le vrai et le faux s’emmêlent, où les questions de théorie de l’art se mélangent aux querelles de couple, c’est leur relation entière qui se métamorphose sous l’œil de la caméra.
Si les performances de Juliette Binoche et de William Shimell servent tout à fait les vœux du réalisateur, leur longue discussion qui structure tout le film devient assez vite fastidieuse. En faisant passer au second plan la cinématographie, Copie conforme a plus l’allure d’un essai que d’un film, et pourra rebuter les spectateurs moins familiers de l’œuvre du réalisateur.
La force principale du film est sa trame narrative ambiguë, cherchant volontairement à perdre le spectateur : l’évolution naturelle de celle-ci d’un récit à un autre, d’une rencontre entre deux étrangers à une querelle de couple dysfonctionnel, se fait sans soubresauts, comme un fondu-enchaîné de toute la longueur du film. Construit au compas, la construction visuelle du film s’imprègne elle-même de la discussion sur ce qui sépare l’original de la copie, ce qui sépare le cinéma du réel, ce qui sépare le vrai et le faux. Dans la voiture comme dans les restaurants, les deux acteurs, filmés de face dans un champ-contrechamp qui les oppose diamétralement, sont comme deux pôles magnétiques, deux antithèses que le travail de la caméra essaye de réconcilier en permanence. En travaillant les contraires, Kiarostami persévère dans sa conception du cinéma comme d’un intermédiaire, réconciliant la vérité de la vie quotidienne et la fiction propre au récit. Pourtant, dans cette logique, Copie Conforme est peut-être un film plus désabusé que d’autres du réalisateur – ce que laisse sous-entendre la fin du film, dans laquelle les deux rôles principaux échouent à se réconcilier. Kiarostami semble en effet traversé par un certain trouble dans ce film, trouble qui se lit dans les deux personnages : plus qu’une synthèse harmonieuse entre le vrai et le faux, le film met en lumière une conflictualité permanente entre les deux extrêmes, qui ne se lève jamais, même dans les scènes les plus intimes. Un aveu de faiblesse de la part du réalisateur ? Peut-être – mais cela n’enlève rien au tour de force narratif et discursif de Kiarostami.
Si Copie Conforme est un film solide sur le plan théorique, les partis pris du réalisateur peuvent cependant rendre le film assez fastidieux par moments. Véritable film de discussion, le casting à deux rôles principaux parait parfois trop maigre, trop étroit pour maintenir pleinement l’attention du spectateur. Si les performances de Juliette Binoche et de William Shimell servent tout à fait les vœux du réalisateur, leur longue discussion structurant tout le film devient assez vite fastidieuse : la superposition des discussions esthétiques et de l’intrigue sentimentale, plutôt que de complexifier le film et d’amener à s’interroger sur la mise en scène du réalisateur, focalisent l’attention tout au long du film, faisant passer au second plan la cinématographie. En ce sens, Copie conforme a parfois plus l’allure d’un essai que d’un long-métrage : suivre convenablement le film devient alors un exercice très exigeant, qui pourra satisfaire les connaisseurs de l’œuvre du réalisateur, mais rebuter ceux qui en sont moins familiers. À ce titre, Copie conforme est probablement mieux recevable si on le comprend comme un film de maturité du réalisateur : moins accessible aux néophytes, il devrait cependant satisfaire les habitués. Un film exigeant, donc, mais qui en vaut la peine, et dont les personnes s’intéressant aux théories esthétiques devraient assurément retirer un certain intérêt.
RÉALISATEUR : Abbas Kiarostami NATIONALITÉ : Française, Italienne, Belge AVEC : Juliette Binoche, William Shimell, Jean-Claude Carrière GENRE : Drame DURÉE : 1h46 DISTRIBUTEUR : MK2 Diffusion SORTIE LE 19 mai 2010