Depuis quelques films (Nocturama, Zombi Child), Bertrand Bonello s’adresse directement à la jeunesse. Cette jeunesse, censée porter l’avenir d’une génération future, il la filme et en fait quasiment son unique sujet de préoccupation. Dans Coma, c’est encore plus évident puisque, après avoir dédié Nocturama à Anna, sa fille encore adolescente, il commence et clôt son film par une lettre ouverte qui lui est explicitement adressée, alors qu’elle venait d’atteindre ses 18 ans. Dans des images d’archives d’une conférence donnée à la FEMIS, Gilles Deleuze énonce « méfiez-vous du rêve de l’autre« , exactement le conseil qu’il fallait à Bertrand Bonello pour lui désobéir et tenter de pénétrer dans le cerveau d’une jeune fille de 18 ans, coincée dans un appartement trop petit pour ses aspirations et ses rêves. Avec Coma, allant jusqu’au bout d’une démarche autoproduite et totalement indépendante, Bertrand Bonello réussit l’un de ses meilleurs films depuis Saint Laurent, introspection fascinante de la psyché d’une jeune fille, un conte de la jeunesse ordinaire qui ne se laisse pas oublier.
Entre une étrange sitcom jouée par des poupées Barbie, des images de film d’animation, des plongées oniriques et nocturnes du côté des limbes, une mystérieuse et séduisante Youtubeuse, Patricia Coma, qui prodigue des conseils portant sur la cuisine ou le développement personnel, des visios partagées par des adolescentes discutant des mérites comparés des serial-killers, et enfin un jeu singulier, le Révélateur, auquel il est impossible de perdre, engendrant de la dépression, Bertrand Bonello photographie l’état d’une jeunesse contemporaine désenchantée.
Avec Coma, allant jusqu’au bout d’une démarche autoproduite et totalement indépendante, Bertrand Bonello réussit l’un de ses meilleurs films depuis Saint Laurent, introspection fascinante de la psyché d’une jeune fille, un conte de la jeunesse ordinaire qui ne se laisse pas oublier.
En mélangeant différentes strates d’images (animation, filmage en DV et nuit américaine, visio en réunion Zoom, vidéos YouTube), Bertrand Bonello cherche à capter quelque chose de l’imaginaire contemporain d’une jeune fille emprisonnée dans un monde virtuel dont elle ne parvient pas à s’échapper. L’expérience du confinement a certes accentué ce phénomène de virtualité mais il existait néanmoins déjà, la jeunesse étant familière de cette distanciation isolant les uns des autres. Dans un genre différent, ce qu’effectue Bonello n’est pas si éloigné de la démarche d’un De Palma dans Redacted, où le metteur en scène américain mixait également des images de différentes sources, pour synthétiser l’état mental d’un soldat de la guerre en Irak.
En fabriquant son film de manière autoproduite, en empruntant des matériaux de bric et de broc, Bonello, d’une certaine manière, revient à l’origine du cinéma, un cinéma dépourvu de moyens mais non d’idées, tout en anticipant peut-être les fictions de demain, mixant réseaux sociaux, Internet et supports divers. Ce faisant, Bonello n’oublie guère le cinéma du passé, accumulant et affichant avec plaisir les références. La structure ternaire de son film peut évoquer celle de Notre Musique du récemment disparu et regretté Jean-Luc Godard, tout comme l’esprit patchwork de Coma rappelle le goût du mélange et des collisions stylistiques cultivé par le génial Franco-Suisse. L’exploration des limbes, intensifiée par le côté sensoriel et musical de la mise en scène renvoie au David Lynch de INLAND EMPIRE, tandis que la sitcom avec poupées parlantes et rires décalés cite Rabbits du même metteur en scène, ainsi que Cindy : the Doll is mine de Bertrand Bonello lui-même. Vertige de l’auto-citation que l’on retrouve avec des images extraites de Nocturama, dans la lettre ouverte de Bonello à sa fille, au début du film.
A quoi rêvent les jeunes filles? se demandait Alfred de Musset ; d’une certaine manière, Bonello répond à sa façon à cette interrogation permanente et prégnante dans l’art de ces derniers siècles : des propos de sitcom, des discours de Donald Trump, une fascination pour les serial-killers, le réchauffement climatique, etc. En superposant des lignes narratives qui se succèdent et se répondent alternativement, Bonello conçoit non une dramaturgie mais une construction musicale, une spirale mélodique obsédante, une expérimentation ludique qui a pourtant l’élégance de rester toujours accessible, pop et sexy via le charme de la vénéneuse Julia Faure. En effet, dans ces sept ou huit univers qui se complètent et se renforcent, certains laissent des traces indélébiles dans le souvenir : les vidéos de développement personnel de Patricia Coma, entre mantras et conseils de cuisine ou linguistiques, ou les échappées nocturnes dans le royaume des limbes font sans doute partie des moments de cinéma les plus saisissants vus récemment. En mixant sept ou huit lignes narratives différentes autour d’une jeune fille confinée, Bonello finit par reconstituer ce qui pourrait ressembler à la vie consciente et inconsciente d’une adolescente d’aujourd’hui.
RÉALISATEUR : Bertrand Bonello NATIONALITÉ : française AVEC : Julia Faure, Louise Labèque, Bonnie Banane et les voix de Laetitia Casta, Louis Garrel, Gaspard Ulliel, Vincent Lacoste, Anaïs Demoustier. GENRE : Drame, expérimental DURÉE : 1h20 DISTRIBUTEUR : New Story SORTIE LE 16 novembre 2022