Close : entre la grâce de la fusion et la douleur de la séparation

En 2018, Girl faisait partie de la sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes et a remporté la Caméra d’or, récompensant le meilleur premier film toutes sélections confondues. Quatre ans plus tard après cette consécration, Lukas Dhont revient sur le tapis rouge avec Close, un drame sur l’amitié à l’épreuve du temps et de la société, en tant que système dans lequel évolue les individus. Il en est reparti avec le Grand Prix du Jury, soit le deuxième prix du palmarès, surprenant les critiques par la persistance de sa vision sociétale et l’esthétisme de la mise en forme de son propos.

Deux amis d’enfance, Léo et Rémi, partagent une amitié d’une puissance rare pour de si jeunes êtres. La complicité des jeunes garçons est vite mise à l’épreuve de la dureté de la vie et des normes sociales, dont les conséquences seront certaines sur le lien qui les unit.

C’est ainsi une prouesse de la part du réalisateur d’avoir su unir aussi harmonieusement l’émotion pure du spectateur face à la dissolution d’une relation, et une prise de conscience active et engagée par rapport à une société responsable de ce drame.

Close est un drame relationnel d’une splendeur émotionnelle des plus rares. Le cinéaste maintient presque tout au long du film sa caméra braquée sur Léo. Les seuls instants où on ne le voit pas, c’est parce que la caméra voit à travers son regard. Ainsi, la caméra ne cesse d’être en mouvement en suivant le garçon dans les champs, à la patinoire, dans la cour de récréation, par conséquent dans tous les lieux de sa vie. Ce procédé donne ainsi un rythme et une musicalité foudroyante au film. Le mouvement de la caméra est en symbiose totale avec le fond du film à savoir le temps qui passe, l’évolution des relations mais surtout des regards, provenant de la société, et donc des autres. La pureté d’une amitié d’enfance ne pourra être maintenue car le système sociétal n’accepte pas de laisser les choses se développer à leur propre rythme et s’oblige à imposer un rythme, une cadence souvent infernale à la vie. Or, c’est exactement ce qu’exprime le rythme du caméraman, comme s’il ne pouvait se laisser aller, n’était pas autorisé à se poser un seul instant. Comme Léo et Rémi qui n’ont pas le droit, socialement, de laisser leur amitié traverser paisiblement le long fleuve tranquille qu’elle avait commencé d’emprunter. Comme si à un certain âge, la pureté devenait mal considérée et devait subir des transmutations.

Close est une gifle cinématographique qui laissera la douloureuse marque d’une société qui n’accepte pas de ne pas se mêler de tout.

C’est alors que le film aboutit, sans qu’on s’en aperçoive, à l’une des critiques les plus féroces jamais faites de la société. Si Close dresse le portrait extrêmement émouvant d’une amitié d’une rare complicité, Lukas Dhont vient surtout rappeler que la société se trouve en fait là pour tout détruire. En effet, le lien des deux garçons est rapidement mis à l’épreuve du regard d’autrui, autrui exprimant en réalité la société tout entière. Une jeune camarade demande en effet un jour innocemment aux deux amis s’ils sont en couple. Alors tout bascule. A la fois dans l’esprit de Léo mais également dans celui du spectateur. Close est ainsi une gifle cinématographique qui laissera la douloureuse marque d’une société qui n’accepte pas de ne pas se mêler de tout. Si la remarque de la jeune fille n’était pas en elle-même méchante ou agressive, elle ne représente que le symptôme d’une société dont l’homophobie est généralisée et normalisée, où les gens ont besoin, et cela dès leur plus jeune âge, de ranger les autres dans des cases. Si au collège, deux filles proches vont être considérées par tous uniquement comme des meilleures amies, deux jeunes garçons, inséparables au point de ne pouvoir dormir l’un sans l’autre, ne vont pas pouvoir être vus comme de simples amis. Car une telle relation va à l’encontre de la représentation de la masculinité toxique, véhiculée et valorisée dans les canaux de la société. Qu’y a-t-il de moins viril que d’aller dormir chez son meilleur ami et ne pas vouloir en être éloigné ? Alors forcément, selon les représentations rigidifiées de la société, ces jeunes garçons ne peuvent être seulement amis. Lukas Dhont ne s’arrête pas là. En effet, il ne montre pas que la perversion du regard extérieur et la banalisation de l’homophobie ; il témoigne également des conséquences désastreuses de quelques phrases lâchées dans le vent sur la vie de jeunes enfants innocents. En effet, cette question va mettre Léo terriblement mal à l’aise, ce qui va le faire commencer à se questionner à la fois sur ce qu’il ressent mais aussi sur l’image qu’il renvoie. Alors que son amitié avec Rémi était d’une pureté sans nom, par la faute d’une phrase, tout est remis en question, ce qui témoigne de la manière dont le système sociétal arrive à manipuler les individus pour leur faire remettre en question même ce qu’il y avait de plus beau dans leur vie jusque-là.

S’il est facile de ressentir une forte émotion à la vision de cette tragédie et d’être véritablement bouleversé par cette relation qui bat de l’aile, Lukas Dhont ne cherche pas qu’à émouvoir et attrister le spectateur, à défaut de quoi on lui reprocherait le choix de la facilité. En effet, la force émotionnelle du film tient en immense partie à tous les enjeux sociaux qu’il sous-tend. C’est ainsi une prouesse de la part du réalisateur d’avoir su unir aussi harmonieusement l’émotion pure du spectateur face à la dissolution d’une relation, et une prise de conscience active et engagée par rapport à une société responsable de ce drame.

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RÉALISATEUR :  Lukas Dhont
NATIONALITÉ : Belge
AVEC : Eden Dambrine, Gustav De Waele, Emilie Dequenne
GENRE : Drame
DURÉE : 1h45
DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution
SORTIE LE 1er novembre 2022