Ciudad sin sueño : grandir et rêver d’ailleurs dans « la ville sans sommeil »

Présenté en compétition à la Semaine de la Critique (il y a remporté le Prix SACD), et concourant pour la Caméra d’or, Ciudad sin sueño est le premier long métrage du cinéaste espagnol Guillermo Galoe qui prolonge ainsi son court métrage réalisé en 2023, Aunque es de noche (Malgré la nuit). Une immersion saisissante au cœur du plus grand bidonville d’Europe, la Cañada Real, situé en périphérie de Madrid.

Toni, un garçon Rom de 15 ans, est fier d’appartenir à sa famille de ferrailleurs, il suit son grand-père partout. Mais à mesure que leur terrain devient la proie des démolisseurs, la famille se divise : lorsque certains choisissent de partir en ville, son grand-père, lui, refuse de quitter leurs terres. Au fil des nuits, Toni doit faire un choix : s’élancer vers un avenir incertain ou s’accrocher au monde de son enfance.

Cela lui permet de décrire avec une grande justesse les conditions de vie difficiles des communautés qui y sont présentes, optant pour une approche réaliste, sans concession, évitant tout misérabilisme et refusant d’idéaliser ses personnages.

Le réalisateur, qui s’est plongé dans ce lieu pendant plusieurs années afin d’observer le quotidien des habitants et de s’imprégner de leurs histoires tout comme de leurs légendes, donne à son film une dimension documentaire évidente. Cela lui permet de décrire avec une grande justesse les conditions de vie difficiles des communautés qui y sont présentes, optant pour une approche réaliste, sans concession, évitant tout misérabilisme et refusant d’idéaliser ses personnages. A ce titre, il convient de citer les séquences nocturnes, très peu éclairées, qui donnent une image faisant irrémédiablement penser à l’Enfer (soulignons ici le remarquable travail sur le son). Trafic de drogue, petits boulots flirtant avec la légalité, sens de le débrouille (comme récupérer de la ferraille ou des animaux sauvages et les revendre pour se faire un peu d’argent) et rivalités au sein de la bande de copains (reproduisant les codes des adultes) sont bien présents à l’écran, le tout sur fond d’intervention de pelleteuses soulignant la volonté des autorités de démolir les bâtisses construites sans aucune autorisation. Cependant, Galoe choisit d’insuffler de la fiction pour accoucher d’un très beau récit initiatique centré sur un personnage principal, le jeune Toni, qui vit la fin d’un monde (celui du bidonville dans lequel il a grandi), tout en basculant progressivement dans celui des adultes. En effet, Toni se retrouve assez vite tiraillé entre son attachement au lieu, au mode de vie hérité de ses grands-parents et une envie d’ailleurs, un rêve d’évasion que le cinéaste choisit d’illustrer de manière étonnante. A plusieurs reprises, Toni et son meilleur ami, Bilal, s’échappent (au sens propre comme au sens figuré), prennent des chemins de traverse et filment le monde qui les entoure avec leur téléphone portable mais par le biais de filtres de couleur que le cinéaste choisit d’intégrer directement à l’écran. Idée simple mais qui n’en reste pas moins très belle pour souligner aussi la part d’enfance qu’il leur reste au sein d’un environnement âpre. Cette relation entre ces deux adolescents est très émouvante, et apporte de très beaux moments de respiration. Bilal, l’ami, qui finira par quitter ce lieu pour suivre sa famille à Marseille, incitant même par un appel en visio son ami à le rejoindre. Il illustre en quelque sorte la grande question qui constitue le cœur de Ciudad sin sueño et qui agite les membres de la communauté : doit-on continuer à vivre ici, comme le souhaitent les anciens qui ont tout bâti ou faut-il partir pour proposer une autre vie aux enfants ? Toni hésite : son attachement fort et bien réel à son grand-père (qu’il admire) le pousserait à rester dans cet endroit (lieu de déambulation, d’expérimentation en tout genre) mais dans le même temps, il doit suivre ses parents qui ont bien l’intention de s’installer dans un appartement, acceptant ainsi d’être relogé dans un quartier de Madrid. Lors de la séquence de visite de ce nouvel espace, celui d’une nouvelle vie possible, Toni refuse de monter dans l’ascenseur, symbole pour lui de cet enfermement à venir, et d’un renoncement à une partie de son identité propre. Son attachement à sa chienne, Atomica (présente dès la séquence d’ouverture du long métrage), est également ce qui le rattache symboliquement au bidonville, à sa vie présente. C’est le choix du grand-père de la vendre à une famille rivale qui déclenchera d’ailleurs la révolte de Toni.

doit-on continuer à vivre ici, comme le souhaitent les anciens qui ont tout bâti ou faut-il partir pour proposer une autre vie aux enfants ?

La découverte d’un premier film est un moment important surtout si cela permet d’annoncer la promesse d’un cinéaste en devenir. Il en est bien ici question, où le spectateur est captivé par le sens du récit, la justesse dans la peinture d’un milieu marginal et le refus des images toutes faites. Par son réalisme brut mais aussi par ses choix esthétiques qui se révèlent d’une grande pertinence (sublime photographie signée Rui Poças, qui a notamment travaillé pour Miguel Gomes ou João Pedro Rodrigues), Ciudad sin sueño est indéniablement une œuvre marquante, dont on se souvient longtemps après la projection.

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RÉALISATEUR : Guillermo Galoe
NATIONALITÉ : Espagne, France
GENRE : Drame
AVEC : Fernández Gabarre, Bilal Sedraoui, Fernández Silva
DURÉE : 1h37
DISTRIBUTEUR :  Pan Distribution 
SORTIE LE 3 septembre 2025