The Chronology of Water est le premier long-métrage réalisé par l’actrice Kristen Stewart, d’après les mémoires de Lidia Yuknavitch, écrivaine et ancienne nageuse américaine. Suivant l’un des célèbres préceptes de Jean-Luc Godard — «il ne faut pas adapter une histoire au cinéma, mais adapter le cinéma à une histoire» — le film ne cherche pas à retranscrire le livre dans un langage cinématographique conventionnel, mais à se plier à sa logique intime. Le résultat est une narration éclatée, un montage discontinu, à l’image de souvenirs marqués par les abus et les traumatismes.
Le film suit Lidia Yuknavitch de l’enfance à l’âge adulte, mais sans respecter l’ordre chronologique. Il est plus simple d’énumérer les fragments de son existence que de les replacer dans une ligne temporelle claire: une carrière prometteuse dans la natation, l’université et l’alcoolisme, des relations multiples avec des partenaires des deux sexes, des séminaires littéraires, la drogue, les prix, l’enseignement… Tous ces éléments se juxtaposent dans un kaléidoscope flou. Pourtant, malgré cette forme fragmentée, le film ne donne jamais l’impression d’une coquetterie formelle. Au contraire, il parvient à toucher juste, en épousant parfaitement son sujet principal : le lent processus de reconstruction d’une femme après des abus graves et répétés, infligés par son père.
Le rythme du montage épouse parfaitement celui du livre, et cette fidélité sensible révèle Kristen Stewart comme une lectrice attentive autant qu’une réalisatrice subtile — presque comme si elle filmait sa propre histoire.
C’est dans cette adéquation entre forme et fond que réside la principale réussite artistique du film. Le récit déconstruit, combiné à une imagerie sensorielle et déroutante, donne corps à un espace mental où les traumatismes du passé résonnent dans le présent, de manière non linéaire. La «chronologie de l’eau» devient alors une métaphore de l’inconscient, où les souvenirs se propagent en vagues, sans ordre, sans logique apparente, mais selon une fluidité propre à la mémoire traumatique. Ce procédé s’inscrit dans une tradition de la littérature américaine du XXe siècle — Ken Kesey fut d’ailleurs l’un des mentors de Yuknavitch — et trouve également un écho dans l’écriture autofictionnelle de Kathy Acker, brièvement évoquée dans le film. Le rythme du montage épouse parfaitement celui du livre, et cette fidélité sensible révèle Kristen Stewart comme une lectrice attentive autant qu’une réalisatrice subtile — presque comme si elle filmait sa propre histoire.
Techniquement, le film frôle la perfection : on y cherche en vain les maladresses souvent associées à une première œuvre. Cependant, The Chronology of Water peut sembler long par moments. Mais peut-être est-ce un choix assumé, car le processus de guérison, lui non plus, ne suit pas un parcours rapide ni linéaire. Par ailleurs, le traitement de la mémoire traumatique — où les épisodes les plus durs sont dits mais jamais montrés — se révèle une décision délicate, presque bienveillante, face à une œuvre déjà très chargée en sensations physiques. Au final, The Chronology of Water s’impose comme une adaptation exigeante, qui fusionne avec intelligence les voix de l’autrice et de la réalisatrice dans une forme narrative singulière. Ce n’est ni une succession aléatoire de scènes, ni un récit fluide : c’est une chronique intérieure, une narration obéissant à la logique d’un inconscient en voie de reconstruction. Une œuvre dense, troublante, et parfois déroutante, mais jamais gratuite.
RÉALISATEUR : Kristen Stewart NATIONALITÉ : U.S.A., France, Lettonie GENRE : Biopic, Drame AVEC : Imogen Poots, Thora Birch, James Belushi DURÉE : 2h 08min DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange SORTIE LE prochainement