Chime : la société prise de folie

Grand maître japonais du cinéma de genre basé sur l’angoisse de son spectateur et déclinant le thriller, le fantastique et l’horreur selon sa propre recette, on n’avait plus revu Kiyoshi Kurosawa au cinéma depuis 2019. En outre, son plus récent grand geste cinématographique date de 2008 avec le magnifique Tokyo Sonata. Autant dire que cela date un petit peu. Alors on attendait au tournant le cinéaste de presque 70 ans qui a 50 années de carrière derrière lui avec ce qui est annoncé comme son retour sur le devant de la scène. Et d’un coup d’un seul, voilà qu’il nous livre 3 productions à venir pour l’année 2025 : Cloud à venir le 4 juin, La voie du serpent le 13 août de la même année et donc Chime qui nous occupe. Ce dernier est un moyen-métrage d’environ 45 minutes qui nous plonge dans le récit éprouvant d’un professeur de cuisine en proie à d’étranges évènements.

Matsuoka délivre des cours de cuisine dans une école située en bordure d’une gare à ses étudiants volontaires qui suivent attentivement ses recommandations. Et tout se passe bien si ce n’était que l’un d’entre eux adopte un comportement bizarre, disant entendre comme un carillonnement dans sa tête. C’est ainsi que la contamination de la folie par le hors-champ prend peu à peu corps pour se transformer en actes de démence : le regard effrayé de Matsuoka sur Akemi revenue d’entre les morts ou balayant le quai de la gare. Une pression sourde semble s’exercer sur les protagonistes, une pression latente qui conduit au meurtre d’autant plus effrayante qu’elle se cache derrière les apparences tout à fait ordinaires de la vie quotidienne. Un quotidien aliénant – l’épouse du professeur vidant les canettes de soda dans un bac sur le palier de la maison animée d’une rage surnaturelle un sourire inquiétant affiché sur son visage, comme sur celui de son fils.

l’humanité ici ne s’appartient plus et répond à la violence sourde et organisée de la puissance sociale par une violence dégénérée et chaotique qui détruit l’âme et le corps.

La folie gagne peu à peu la pellicule et l’image – celle du récepteur vidéo de l’entrée de la maison, et pour un peu on se croirait dans un film de David Lynch. Et un simple ustensile de cuisine sur lequel insiste l’image, en souligne la forme, devient un danger potentiel prêt à chaque instant à servir d’arme meurtrière. L’enquêteur du drame policier vers lequel aurait pu tendre le film n’est qu’un fantoche impuissant à stopper l’épidémie. Son interrogatoire tourne court et il semble ne pas prendre conscience de l’ampleur du phénomène. Derrière tout cela, il y a un personnage en perte de confiance, que sa situation sociale ne comble pas et qui aspire à mieux.

En effet, Matsuoka est en plein entretien d’embauche pour un restaurant de cuisine française tenu par des Japonais et où il postule pour en devenir le chef cuisinier. La rencontre a lieu dans un restaurant qui finira lui-même par être atteint du virus fou qui se propage au fur et à mesure qu’avance le film. La frustration sociale et le comportement de machine auquel sont réduits les individus semblent en être la clef d’interprétation: l’humanité ici ne s’appartient plus et répond à la violence sourde et organisée de la puissance sociale par une violence dégénérée et chaotique qui détruit l’âme et le corps. Le spectateur n’en sort pas indemne, emporté par un vent de folie qui couve et court tout le long du film poussé par une bande- son musicale dissonante de Takuma Watanabe – le même compositeur que dans Cloud.

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RÉALISATEUR : Kiyoshi Kurosawa
NATIONALITÉ :  Japon
GENRE : Thriller, Horreur
AVEC : Mutsuo Yoshioka, Seiichi Kohinata, Hana Amano
DURÉE : 45 minutes
DISTRIBUTEUR : Art House
SORTIE LE 28 mai 2025