Crédit photo : Guillaume Bonnaud

Champs-Élysées Film Festival 2022 : entretien avec la réalisatrice Maïmouna Doucouré

Membre du jury long métrage de la 11e édition des Champs-Élysées Film Festival, présidé cette année par Emmanuelle Bercot, la cinéaste Maïmouna Doucouré prépare actuellement son deuxième film, Hawa, produit par la plateforme Amazon Prime Vidéo. Un retour attendu pour la réalisatrice multi-primée de 37 ans, connue pour son court-métrage Maman(s), César du meilleur court-métrage en 2017 et son premier long métrage, Mignonnes, Prix de la Meilleure Réalisation au Festival de Sundance 2020. Nous avons eu l’occasion d’échanger avec Maïmouna Doucouré pour revenir sur son parcours, ses films et son engagement en faveur d’un cinéma capable de faire bouger les lignes.


C’est votre première participation aux Champs-Élysées Film Festival ?

C’est en effet la première fois que je viens dans ce Festival. Je me sens comme faisant parti des membres du jury, mais également comme une festivalière. Je vais apprécier, savourer et découvrir les œuvres projetées durant l’évènement.

Vous êtes membre du jury long métrage, qu’est-ce que vous appréciez dans ce rôle ?

Déjà, découvrir des films. En temps normal, enchaîner douze films, ça me paraît improbable. C’est une pression agréable, d’être contraint à regarder des films. Ce qui me plaît beaucoup dans cet exercice, ce sont les rencontres. Il y a toutes sortes de profils, des personnes qui viennent du cinéma, de la musique, du journalisme, de la littérature, j’aime l’idée d’avoir des regards croisés sur les œuvres. Les échanges sont toujours très enrichissants. Il faut avoir le goût du débat et savoir trouver des arguments pour défendre les films.

Vous connaissez des membres du jury ?

Je connais Emmanuelle Bercot, en tant qu’actrice évidemment, mais aussi à titre personnel car nous avons déjà été ensemble membre d’un jury au Nikon Film Festival en 2017. C’est drôle de se retrouver et de passer de petits films à des longs.

Quel type de spectatrice êtes-vous ?

J’aime bien le cinéma d’auteur, notamment lorsqu’il me remue émotionnellement parlant et raconte une histoire qui me laisse une empreinte. Lorsqu’un film m’accompagne pendant plusieurs jours, là je me dit qu’il s’est passé quelque chose. Le cinéma me fait réfléchir sur le monde, sur l’humain, sur nous-mêmes. Ce que je préfère, c’est quand le cinéaste parvient à filmer l’invisible.

D’où vient votre passion et votre désir de faire du cinéma ?

La passion est venue en regardant des films devant la télévision, car je n’allais pas forcément au cinéma quand j’étais plus jeune. Je voyais les films avec un peu de retard, mais ce n’était pas très grave. C’était vraiment la culture télé. La volonté de faire du cinéma en revanche était bien enfouie. Je ne me sentais pas légitime, je pensais que c’était un monde qui ne m’était pas destiné. Il y eu a comme une sorte d’auto-inhibition. Je pense que c’était probablement dû à l’absence ou au manque de modèles sur les écrans. Lorsque j’étais jeune, à part dans les films américains, il y avait très peu de noirs au cinéma. Aujourd’hui ça change, on avance dans la bonne direction. Je pense que l’heure du constat est passée, maintenant il faut agir.

Le jour où nous ne parleront plus de ce sujet, c’est qu’un pas aura véritablement été franchi.

Exactement, lorsque ça ne sera plus exclusif ou exceptionnel, mais normal.

Quelles sont les œuvres qui ont jalonné votre culture cinématographique ?

Ce sont surtout des films fantastiques, les films de Steven Spielberg par exemple. J’ai été bercé par E.T., l’extraterrestre par exemple. Le cinéma de Guillermo Del Toro aussi, avec Le Labyrinthe de Pan, La forme de l’eau, j’adore les contes. Je pense également à Carrie au bal du diable de Brian de Palma. J’aime aussi les films très proches de la vérité, comme ceux d’Asghar Farhadi, surtout ceux qui se déroulent en Iran. Ses acteurs sont d’une grande justesse, que ça soit dans Une séparation ou A propos d’Elly. Ça m’inspire pour mon propre travail. C’est un cinéma qui me marque réellement.

Le festival met à l’honneur des productions indépendantes américaines et françaises, qu’est-ce qui caractérise pour vous le cinéma d’outre-Atlantique ?

Je pourrai certainement répondre à cette question à la fin de la semaine (rire). Déjà, il y a forcément la réalité des mondes dépeints, le rapport à ce qui est raconté. On retrouve des préoccupations et des problématiques propres aux Etats-Unis. En même temps, ce qui est génial avec les films indépendants réussis, c’est qu’il y a une universalité dans le propos. Malgré la singularité du récit, qu’il se déroule à Paris ou New York, le film peut me parler et me toucher. Lorsque je présente mes films dans des Festivals, notamment à Sundance où Maman(s) et Mignonnes ont remporté des prix, je vois aussi des œuvres et je rencontre des réalisateurs qui viennent du monde entier. Ça, c’est vraiment précieux, c’est une véritable fenêtre qui s’ouvre sur le monde qui nous entoure et une cartographie à l’instant T des réalités qui se passent ailleurs. Quand tu as vu un film, tu peux te demander, comment je peux agir à mon tour sur le monde, sur ce sujet qui me touche.

Il y a un vrai aspect militant dans votre démarche.

Le cinéma peut aussi être ça, un vecteur militant. Je trouve ça puissant de se dire qu’avec un seul film, je peux éveiller des consciences et engager des démarches, pour créer des lois ou sauver des personnes. On peut mettre en avant un sujet jusqu’ici délaissé ou oublié, faire découvrir une cause. Finalement, c’est une manière d’apprendre à se connaître et du coup de s’aimer. Lorsqu’on ne se connaît pas, on peut avoir peur des autres. Tout ça peut permettre de réduire les violences, les incompréhensions, moins de Rassemblement National aussi, mais les derniers chiffres ne sont pas très bons, dramatiques même (ndlr : 89 sièges RN à l’Assemblée nationale en 2022 contre 8 en 2017). Du coup, il faut plus de cinéma, plus d’art, pour ouvrir les horizons.

Votre premier long métrage, Mignonnes, est sorti directement sur Netflix aux Etats-Unis et a provoqué une impressionnante levée de boucliers aux Etats-Unis en raison d’une promotion ratée. Menaces de mort, pétitions, vague de désabonnement et récupération politique, avec du recul, que gardez-vous de cette expérience ?

Ce qui est drôle, c’est qu’aujourd’hui la plupart des messages que je reçois viennent de personnes qui ont fini par regarder le film et qui du coup, surtout aux Etats-Unis, s’excusent ou regrettent avoir participé à une pétition contre la diffusion de Mignonnes sur Netflix. La bonne nouvelle pour moi, c’est que nous sommes tous outrés par l’hypersexualisation et que l’on a envie d’agir contre le fait que des petites filles aient entre leurs mains des outils dangereux, pour elle, pour leur construction en tant que femme, maintenant le plus important c’est que l’on regarde tous dans la même direction. Le problème n’est pas dans mon film, qui dépeint uniquement une réalité. Il faut regarder le problème en face et agir. Quand on voit l’engouement qu’il y a eu, comment faire pour transformer cette implication en action ? Un simple tweet ne résout pas le problème.

Vous travaillez actuellement sur votre deuxième long métrage, Hawa, produit par Amazon Prime Vidéo. Comment est née cette collaboration avec le géant américain ?

J’avais une histoire que je voulais raconter. J’ai rencontré Thomas Dubois, le directeur des créations originales françaises de la plateforme Prime Vidéo, il y avait une envie réciproque de travailler ensemble sur un projet. L’idée de mon film a plu et j’avais envie de la raconter tout de suite cette histoire. J’en ai d’autres en cours d’écriture, mais je dois finaliser des recherches, trouver des financements. J’étais séduite par l’idée de sortir mon film dans 240 pays via la plateforme, de partager cette histoire avec autant de personnes. Et ça s’est très bien passé, j’étais complétement libre. Le désir d’Amazon n’était pas de formater mon travail, je n’ai pas fait un pour eux, mais avec eux. C’est une véritable collaboration et il y a eu un vrai respect de mon travail. Je suis en fin de post-production, on approche de la dernière étape. J’ai hâte de le présenter.

Est-ce que le fait de sortir votre film uniquement sur une plateforme de streaming a changé votre manière de travailler ? En opposition avec votre précédent long métrage, Mignonnes, qui a bénéficie d’une sortie en salles.

Quand je réalise, je ne me pose pas spécialement cette question. Je fais un film de cinéma, j’ai un chef-opérateur incroyable, Antoine Sanier, et une véritable équipe de cinéma. On voit les choses en grand. On peut trouver ça paradoxal, mais je ne me dis pas comment on va travailler la lumière pour que le film soit lisible sur une télévision ou un écran de téléphone. Je suis une spectatrice qui va au cinéma, mais qui découvre aussi des œuvres sur ma tablette, sur ma télé. Ce n’est pas l’un contre l’autre, il faut penser avec, sans se léser. Evidemment, il faut continuer d’encourager les salles de cinéma. Je crois beaucoup à l’éducation par l’image, il y a un pont à créer pour amener un public nouveau, plus jeune, et faire peut-être naître des sensibilités.

Après avoir traité le sujet de l’hypersexualisation et les dangers des réseaux sociaux avec Mignonnes, quelles thématiques souhaitiez-vous aborder avec Hawa ?

Le film parle d’une jeune albinos, un personnage différent, extraordinaire. Je n’ai pas cherché à parler de la différence de manière frontale, mais ça la caractérise tellement que ça fait partie d’elle. Elle va perdre sa grand-mère et il faut absolument trouver quelqu’un pour l’adopter. Je voulais raconter la façon dont on peut casser les plafonds de verre et lutter contre le déterminisme social. Je n’en dis pas plus, mais c’est un personnage fort.

Pour conclure, quels conseils vous donneriez aux jeunes qui veulent se lancer dans le cinéma ?

Comme je le disais plus tôt, je pensais que ce milieu ne m’était pas destiné. J’ai passé mon temps à réfléchir, à peser le pour et le contre. Je recommande de débrancher cette pensée et de faire un travail de transformation de croyance, pour gagner en motivation et pousser à l’action. Il ne faut pas hésiter à agir, participer au Nikon Film Festival par exemple, à un concours de scénario, de vidéo, il y a une vraie démocratisation du cinéma aujourd’hui. On peut raconter une histoire avec un téléphone et voir ce qui passe. Puis tout simplement aller au cinéma, découvrir des films sur les plateformes et s’intéresser aux festivals, comme les Champs Elysées Film Festival, qui mettent en avant des œuvres rares et indépendantes. Si l’envie est là, de faire et de travailler.

Entretien réalisé en juin 2022 dans le cadre des Champs-Élysées Film Festival 2022.