L’année dernière, Anaïs Volpé participait pour la première fois à la compétition du Champs Elysées Film Festival, avec son deuxième film Entre les Vagues. Elle en est repartie avec le Grand Prix. Cette année donc, changement de statut, elle est devenue Présidente du jury courts métrages de la 11e édition des Champs-Élysées Film Festival. C’était l’occasion de faire le point sur son parcours et sa cinéphilie très éclectique. Toute charmante et pimpante dans sa jolie robe, elle laissera deviner à la fin de l’entretien un tout autre visage : celui d’une transfuge de classe qui n’a pas renié ses origines populaires, celui d’une résistante qui demeure à juste titre fière du chemin accompli.
Vous êtes déjà venue l’année dernière…On vous a interviewée avant que vous n’obteniez votre prix, ce qui fait que nous étions fiers et heureux pour vous. Maintenant vous faites quasiment partie des meubles.
Un petit peu (rires)…Des petits meubles alors, cela ne fait que deux ans….
Depuis Entre les Vagues, vous avez prévu de continuer dans cette ligne ou bien de changer de style?
Pour l’instant, je me trouve vraiment aux prémices de l’écriture. Je ne sais même pas moi-même vers quoi je vais. J’ai quelques idées mais chaque histoire étant différente, il faut trouver une forme cohérente par rapport à l’histoire. Ce qui correspondait à Entre les vagues était spécifique à ce film et la suite sera propre au prochain film.
Et le côté Do it yourself?
Pendant une dizaine d’années, j’ai fait un travail un peu comme ça. Aujourd’hui je voudrais passer à un aspect bien plus produit, travailler différemment la mise en scène. J’ai envie de travailler avec d’autres moyens aujourd’hui. J’espère en tout cas.
Quand on est une jeune réalisatrice aujourd’hui, quelles sont les influences que vous pouvez avoir dans le cinéma international, français, dans la vie, ou autres?
Des influences, il en existe beaucoup dans le cinéma, la musique, dans différents domaines artistiques, la peinture….Moi je m’intéresse à beaucoup d’arts et je suis spectatrice de beaucoup de choses. Je dirais que je suis surtout inspirée par le cinéma indépendant américain des années 70 mais j’adore aussi le cinéma asiatique, le cinéma européen….Après, je ne pense pas être une très grande cinéphile, par rapport à ceux qui voient à peu près tout. Je regarde des films mais pas outre mesure. J’aime beaucoup le travail de Cassavetes…Souvent quand on me pose ces questions, j’ai 80 000 idées mais tout ne me revient pas tout de suite….J’aime beaucoup James Gray, en France Leos Carax.
Donc surtout du cinéma indépendant?
Oui c’est un peu le point commun. Je me sens plus proche de ce cinéma.
Pourtant vous pourriez travailler dans le cadre d’un studio?
Oui je serais très heureuse de travailler sur ce type de projet, cela m’attire aussi. Même les grosses productions en studio, c’est intéressant.
Quand je parlais d’influences, cela pouvait être aussi autre chose que le cinéma, comme la vie par exemple….
Vous savez, je vais autant au cinéma que je regarde la télé, ou que je me nourris de ce que je vis, je m’intéresse à mes amies, à leurs histoires. Je peux regarder de la téléréalité, je peux regarder un film d’auteur de dix heures….J’ai un éventail très large d’inspirations. Cela correspond à mon environnement. J’ai grandi avec Internet, j’ai découvert Loft Story, j’ai aussi une grande curiosité pour le cinéma d’auteur.
Quand je parlais d’influences, vous n’avez pas parlé de cinéastes femmes, par exemple.
oui, cela ne me vient pas tout de suite, mais cela ne veut pas dire que je n’aime pas beaucoup de cinéastes femmes. Quand je vais rentrer chez moi, je vais me dire que j’ai oublié toute une liste de réalisatrices que j’aurais dû vous donner (rires).
Par exemple?
Dites-moi des noms et je réagirai.
Claire Denis par exemple?
J’admire son cinéma et sa carrière mais ce n’est pas forcément un cinéma qui va m’inspirer dans mon travail. Néanmoins j’admire cette réalisatrice…
Sinon il y a Catherine Breillat, Marguerite Duras, Chantal Akerman…
Oui, Chantal Akerman. J’aime beaucoup Chantal Akerman, Julie Delpy, etc. Ah sinon Miranda July, j’aime bien….
Ah oui Kajillionaire! Formidable….
J’aime beaucoup aussi Lena Dunham. Voilà, je vous en ai donné quatre (rires)! Chantal Akerman, Julie Delpy, Miranda July, Lena Dunham.
Je pensais à ça car dans votre jury, ce que j’ai trouvé assez étonnant, c’est que vous êtes quatre femmes pour un seul homme….
Bah oui c’est génial….pour une fois….!
Comment vous avez vécu cette période – qui est aujourd’hui un peu éloignée -de confinement?
Comme beaucoup, j’ai été très inquiète par rapport à ce qui se passait dans le monde. Donc d’abord la peur et l’inquiétude. Après, j’en ai profité pour me reposer, ce que je n’avais pas fait depuis des années, sans planifier quoi que ce soit. J’ai un peu préparé mon film quand même. Et puis on a pu tourner. Et pendant le 2ème confinement, j’étais en post-production, en montage donc je l’ai moins vécu que la plupart des gens.
Cela vous a peut-être permis aussi de découvrir les oeuvres complètes d’écrivains ou de cinéastes?
En fait, on passe quand même beaucoup de temps à se nourrir de plein de choses, à faire fonctionner notre cerveau. Ce qui m’a fait du bien pendant le premier confinement, c’est de relâcher tout ça, de vider le cerveau et ne pas le remplir. J’ai vu des films qui me faisaient envie, j’en ai découvert quelques-uns mais je n’ai pas été extrêmement studieuse, en étant dans un challenge productif. Je l’ai fait au quotidien pendant des années et donc pendant ce temps-là, je me suis permis de…réparer des stylos, de faire des gâteaux…
C’est une réponse originale, il s’agit plus de décompresser que d’être boulimique de culture. On va terminer par des questions un peu plus ludiques. Comme vous êtes présidente du jury du court métrage, quel est votre court métrage préféré?
J’aime beaucoup Jennah de Meryem Benm’ Barek. Par ailleurs Meryem est une très bonne amie à moi. Mais ce n’est pas pour ça que je le cite. Et il y a aussi Nor qu’elle a fait aussi, j’adore son univers.
Comme nous sommes dans le festival du cinéma indépendant français et américain, quel est votre film français préféré?
Je n’en ai pas un. J’aime beaucoup les films de Leos Carax, en particulier à ses débuts. Comment il s’appelle le film sur le pont?
Les Amants du Pont-Neuf.
Je confonds parfois avec La Fille sur le pont. J’avais beaucoup aimé à sa sortie Naissance des pieuvres de Céline Sciamma. Et aussi Eternal sunshine of the spotless mind de Michel Gondry qui n’est pas un film français mais qui a été mis en scène par un réalisateur français. Pour moi d’ailleurs, c’est le meilleur film fait par un réalisateur français.
Une amie qui l’a découvert il n’y a pas très longtemps m’a dit que c’était un chef-d’oeuvre absolu.
C’est un chef-d’oeuvre. Il n’y a pas seulement dedans le talent de Michel Gondry mais aussi celui du scénariste Charlie Kaufman qui est un véritable génie.
Film américain préféré?
C’est dur d’en choisir un. En plus, je suis une personne qui n’a jamais eu UN film préféré. Jamais eu un chanteur préféré, une seule meilleure amie, etc. Le principe d’avoir UNE seule chose préférée, de manière naturelle, cela ne s’est jamais présenté comme ça. J’ai eu plusieurs meilleures amies, plusieurs chanteurs ou chanteuses préférées. Donc c’est compliqué de réduire à un seul film préféré.
Celui qui vous vient comme ça?
J’aime beaucoup les films de James Gray. J’adore Two Lovers, c’est le genre de film que je pourrais voir une fois par an. J’adore les films des frères Safdie, Good Time, Uncut gems.…Opening night de Cassavetes, que je préfère à Une femme sous influence que j’aime beaucoup aussi.
Et pour les films ni américains ni français?
Eh bien, Tout sur ma mère d’Almodovar, Old Boy de Park Chan-wook et les débuts de Wong Kar-wai, Chungking express. Et un film russe ou ukrainien, en 4/3, très sec, en couleurs…de 2017 environ…et après ce metteur en scène a fait un film sur une grande femme qui étouffe le bébé d’une amie sans le faire exprès…. Tesnota de Kantemir Balagov, son premier film qui m’a beaucoup marquée. Ce sont des films très libres, ils n’ont rien en commun hormis la liberté des réalisateurs.
Ces films vous ont inspirée?
Tesnota et Chungking Express, je les ai vus pendant le confinement, après toutes ces années de cinéma fauché et autoproduit. Cela m’a donné de la force pour faire Entre les Vagues et cela m’a rappelé à quel point la liberté, c’était important, quel que soit le budget d’un film. De rester libre et de n’avoir peur de rien. Dans le cinéma, on a vite fait d’avoir peur de la critique, du regard des autres sur notre regard. Je me souhaite de rester le plus longtemps possible assez loin de tout ça. Certes dans un film il y a toujours à redire, rien n’est jamais parfait mais il ne faut pas avoir peur de proposer une vision, qu’elle soit aimée ou pas.
Normalement ce devrait être naturel…
Oui, mais on sait qu’on a vite fait de rentrer dans cet engrenage. C’est facile d’avoir vite peur, de céder aux pressions de l’industrie, des productions, de s’inspirer des réceptions de ce qu’on a déjà fait….et en définitive de s’autocensurer.
Oui c’est pour cela que je suis toujours circonspect par rapport à un film de metteur en scène qui s’exprime de manière libre et artistique. Il ne m’est pas possible de le descendre, même si je ne l’apprécie pas outre mesure.
Moi pareil, en tant que spectatrice, c’est comme vous. Par rapport à l’oeuvre de quelqu’un, si elle est très libre, même si je n’ai pas du tout aimé, je respecterai toujours la liberté que cette personne a eue de s’exprimer de cette manière-là. Donc, même si je n’aime pas, je vais malgré tout respecter sa vision.
Personnellement Cannes a vraiment formé ma cinéphilie. Il y a tellement de regards différents, que c’en est véritablement rafraîchissant….
Oui, surtout la Quinzaine, et puis l’Officielle et Un Certain Regard.
Ensuite il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et rejeter tous les films de studio. Il peut arriver que des regards indépendants et personnels s’expriment y compris dans le cadre de grandes machineries.
Moi je suis entièrement d’accord avec vous. Moi mon rêve un jour c’est de faire un Marvel! Moi cela m’éclaterait grave. Moi, vous savez, je viens de la culture très populaire. Donc j’ai été biberonnée à cela. Quand j’avais le droit d’aller au ciné avec des copines en 4ème, je n’allais pas voir le dernier film d’auteur qui était sorti. Je ne savais même pas ce que c’était. J’allais voir Taxi. Donc je viens de ça. Et je suis contente d’avoir grandi avec cette culture. Et je suis contente d’avoir pu connaître une cinéphilie plus pointue ensuite, en arrivant à Paris. Je suis contente car c’est bien d’avoir les deux, les deux sont complémentaires.
Entretien réalisé en juin 2022 dans le cadre des Champs-Élysées Film Festival 2022.
Photo de couverture : © Aurélie Lamachère.