Chambre 999 : 30 battements par minutes 41 ans plus tard

 

Ils sont en effet une trentaine, ces cinéastes, femmes et hommes, jeunes ou plus vieux, d’origines et de langues différentes, qui ont accepté de reproduire une expérience réalisée 41 ans plus tôt par Wim Wenders dans son Room 666, demandant à ses pairs, dans une chambre de l’hôtel Martinez dans la ville de Cannes, le devenir du cinéma à travers les deux questions suivantes : « le cinéma est-il un langage en train de se perdre, est-il un art qui va mourir ? ». Lubna Playoust emprunte au même dispositif dans Chambre 999, prise entre l’hommage et le remake, dans un tournage qui se fait en 2022, en situation de Covid : les artistes – dont certains voient leur film sélectionné en compétition en 2023 quand ils ne sont pas membres de jurys – seront assis, face caméra, une télévision à leur gauche, branchée sur des programmes ou la chaîne Netflix, prêts à livrer leurs sentiments ou leurs pensées sur ces mêmes questions écrites sur un blanc papier, librement, dans la solitude de leur destinée… dans cette chambre désincarnée de l’hôtel Marriott, avant de la quitter.

Dans une chambre, trente solitudes éprouvées, pour parler de cinéma et de comment il est déboussolé.

Lubna Playoust a doublé le nombre (voir la liste plus bas) même si elle honore le réalisateur du film originel, Wim Wenders, en ouverture de son film, qui redéfinit ce qu’est le cinéma et comment l’ère numérique a impacté les films indépendants. Tous les sujets, touchant de près ou de loin, la question de l’évolution du 7e art, sans en imaginer forcément sa disparition, seront abordés : comment continuer de plaire, de capter l’attention, de rester indépendant, comment concurrencer les plateformes, obtenir des financements, ne pas limiter le visionnage d’un film à un écran de télévision ou d’un téléphone en remplacement du rituel collectif dans la salle de cinéma (Ashgar Farhadi), comment capturer le spectateur devant une longue et belle scène, alors qu’il est habitué à des séquences courtes omniprésentes via les réseaux sociaux, et ne pas transformer sa manière de voir le récit et le rythme d’un film (Audrey Diwan) ? L’américain James Gray et le français Desplechin s’opposent, le premier voyant le cinéma « d’avant » disparaître quand le second insiste sur le principe même du cinéma, voué à revivre indéfiniment de sa propre mort… Les femmes apparaissent plus optimistes, allant sur un autre terrain : la réalisatrice d’origine nigérienne, Ayo Akingbade, compte sur les récits inexplorés, du côté du continent africain quand Rebecca Zlotowski appuie l’idée qu’à l’ère post Me-Too et au service d’un féminisme artistique, la question du corps n’a jamais autant été explorée… Face à la problématique de la transformation du cinéma, de sa perte jusqu’à sa disparition, chacun trouve en soi une manière de résister et à la question, et à l’évolution des mentalités d’une société de plus en plus consumériste. Ainsi Clément Cogitore croit encore qu’un espace existe encore pour faire du cinéma à la marge pendant que le russe Kirill Serebrennikov offre à la caméra une danse. Certains restent sérieux et graves lorsque d’autres prennent une distance humoristique, dans leur posture indifférente au dispositif qui les filme ou un discours décalé. Le film laisse pourtant une impression d’inquiétude partagée, ne perfore pas la lumière et manque d’énergie. On n’est plus à l’ère d’un Jean-Luc Godard prêt à râler sur le fait qu’il va rater Roland-Garros tout en taxant les spectateurs d’avoir peur de l’image comme de la salle obscure. On est loin aussi des grands (et petits) noms et films du patrimoine cinématographique aussi alternatif que commercial créés par les Rainer Werner Fassbinder, Susan Seidelman, Werner Herzog, Ana Carolina, Michelangelo Antonioni, Steven Spielberg Paul Morrissey, Mike De Leon, Monte Hellman, Romain Goupil, Susan Seidelman, Noël Simsolo, Robert Kramer, Maroun Bagdadi ou Yilmaz Güney… on a envie de les rappeler… ici…

Hommage, hommes d’âge, femmes mages, qui jamais ne s’arrêteront de faire vibrer ceux pour qui leur art est fait.

Produit par MK2 Productions – Lubna Playoust est également programmatrice de la plateforme MK2 Curiosity – en association avec le Festival de Cannes et Rosalie Varda, Chambre 999, présenté en sélection Cannes Classics, correspond plus à un objet qu’à un film car il semble parfois concerner plus la production que la création. Pas de hasard dans une époque de la consommation. Ainsi si le film fait office d’hommage, de témoignages ancrés dans le réel collectif d’un genre, d’une parole contemporaine mettant des mots sur des maux contemporains, il reste plutôt déprimant, sombre et manquant de l’énergie, qui, bien qu’artificielle, a animé les esprits d’un Festival douze jours durant, qui, même si constitué de paillettes et de prix, a mieux laissé imaginer et comprendre que le cinéma n’était pas mort, répondant aux deux questions par l’unique outil prompt à nous emporter : l’image.

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RÉALISATEUR : Lubna Playoust
NATIONALITÉ : France
GENRE : Documentaire
AVEC : Wim Wenders, Audrey Diwan, David Cronenberg, Joachim Trier, Shannon Murphy,  James Gray, Arnaud Desplechin, Lynne Ramsay, Asghar Farhadi, Nadav Lapid, Claire Denis, Davy Choy, Baz Lurhmann, Alice Winocour, Ayo Akingbade, Olivier Assyas, Paolo Sorrentino, Agnès Jaoui, Kirill Serebrennikov, Cristian Mungiu,  Kleber Mendonça Filho, Albert Serra, Monia Chokri, Ninja Thyberg , Pietro Marcello, Rebecca Zlotowski, Ali CherriI, Ruben Östlund, Clément Cogitore, Alice Rohrwacher 
DURÉE : 1h25
DISTRIBUTEUR : New Story
SORTIE LE 25 octobre 2023