Si l’on en croit les chiffres très fiables de Médiamètrie, la cérémonie des César a connu hier soir un véritable regain d’intérêt (1,7 million de téléspectateurs, soit plus que le record historique de désaffection de l’an dernier, 1,3 million, et un peu plus qu’en 2021, 1,6 million). Ces chiffres très encourageants (les meilleurs depuis la pandémie) peuvent en effet plaider pour un retour du public dans les salles et une résurrection de son goût inentamé pour le cinéma. Cette cérémonie se situait donc sous le sceau du retour de la cérémonie telle qu’on l’a connue avant l’onde de choc de 2020, de l’effacement des polémiques et d’une tabula rasa qui remet à zéro les compteurs. On efface tout et on recommence, en ayant retenu et intégré les leçons des échecs passés. Le cinéma n’est pas pour autant sorti de l’ornière mais se trouve en bonne voie de guérison.
L’on sait le cinéma français particulièrement sensible depuis quelques années aux questions de rapports avec les femmes. Le triomphe en 2018 de Jusqu’à la garde de Xavier Legrand montrait la sensibilité des membres de l’Académie au sujet des violences conjugales, les émouvantes larmes de Judith Chemla en faisant foi hier soir. Le paradoxe de cette cérémonie c’est qu’elle a mis en lumière le sujet des féminicides, ô combien d’actualité, en se passant quasiment des femmes (zéro nomination dans la catégorie des meilleurs metteurs en scène, occultant les réussites de Rebecca Zlotowski, Mia Hansen-Love, Claire Denis, Patricia Mazuy) et en les récompensant à peine (meilleure musique d’A plein temps et Alice Diop pour Saint Omer), hormis dans les catégories qui leur sont réservées.
Il serait de mauvais goût de se plaindre des six César venus récompenser La Nuit du 12, excellent film de Dominik Moll, extrêmement bien écrit et interprété. L’actualité venait d’ailleurs tristement confirmer la prégnance du sujet des féminicides, un mari avouant en parallèle de la cérémonie avoir démembré le cadavre de sa femme dans le parc des Buttes-Chaumont. On pouvait préférer la folie de Pacifiction ou l’allégresse de L’Innocent mais étant donné le profil donné des votants des César, en majorité des techniciens de la profession, on ne pouvait guère s’attendre à moins d’un miracle, de voir le film d’Albert Serra récompensé au plus haut niveau. Dans cette optique, telles quelles, les récompenses de Pacifiction et de L’Innocent soulignent les atouts les plus forts de ces oeuvres : Magimel et la sublime photographie pour Pacifiction, l’inventivité de l’écriture scénaristique et la drôlerie irrésistible de Noémie Merlant pour L’Innocent. Ces trois films montrent que ces auteurs ont su se renouveler et présenter ce qui fait incontestablement partie de leurs meilleurs films cette année.
Pour le reste, on signalera les récompenses surprises (meilleur montage et meilleure musique) pour A plein temps, film social dans l’air du temps, montrant une travailleuse s’efforçant de joindre les deux bouts et de garder son emploi alors que les grèves font rage, la défaite de Rebecca Marder face à sa collègue de Mon Crime, Nadia Tereszkiewicz (lot de consolation apporté aux Amandiers de Valéria Bruni-Tedeschi). On regrettera l’oubli total dans les récompenses de Bruno Reidal de Vincent Le Port, l’un des grands films de l’année qui révèle un cinéaste français de toute première importance. On se souviendra de quelques dérapages (l’éviction d’une militante écologiste manu militari, Debbouze interrompu dans son discours par une Juliette Binoche très judicieuse) et surtout de quelques moments de grâce qui ont réussi à apparaître en dépit du rythme soutenu (un peu plus de deux heures et demie au lieu des trois ou quatre heures soporifiques habituelles) : les hommages à Godard, Trintignant et Jacques Perrin, la présence toujours magique de Charlotte Gainsbourg, l’apparition miraculeuse de Brad Pitt lors de l’hommage à l’immense David Fincher, l’un des rares moments faisant l’unanimité, et le sacre de Virginie Efira, longuement attendu après quatre nominations, image d’une féminité généreuse et réconciliatrice.
- Meilleur film : La Nuit du 12
- Meilleure réalisation : Dominik Moll pour La Nuit du 12
- Meilleur acteur : Benoît Magimel dans Pacifiction – Tourment sur les îles
- Meilleure actrice : Virginie Efira dans Revoir Paris
- Meilleure actrice dans un second rôle : Noémie Merlant dans L’innocent
- Meilleur acteur dans un second rôle : Bouli Lanners dans La Nuit du 12
- Meilleur espoir féminin : Nadia Tereszkiewicz dans Les Amandiers
- Meilleure espoir masculin : Bastien Bouillon dans La Nuit du 12
- Meilleur scénario original : L’innocent
- Meilleure adaptation : La Nuit du 12
- Meilleurs costumes : Simone le voyage du siècle
- Meilleurs décors : Simone, le voyage du siècle
- Meilleure photographie : Pacifiction – Tourment sur les îles
- Meilleur montage : A plein temps
- Meilleur son : La Nuit du 12
- Meilleurs effets visuels : Notre-Dame brûle
- Meilleure musique originale : A plein temps
- Meilleur premier film : Saint Omer d’Alice Diop
- Meilleur long-métrage d’animation : Ma famille afghane
- Meilleur court-métrage d’animation : La vie sexuelle de mamie
- Meilleur film étranger : As Bestas
- Meilleur court-métrage de fiction : Partir un jour
- Meilleur documentaire : Retour à Reims
- Meilleur court-métrage documentaire : Maria Schneider 1983
- César d’honneur : David Fincher