Certaines femmes : l’intime et l’humain

Au Festival de Deauville 2016, Certaines femmes a souffert de retours peu enthousiastes et trompeurs qui ont longtemps laissé craindre qu’il ne sortirait pas dans les salles françaises et serait voué à un sort de DTV qu’il ne méritait assurément pas. C’ aurait été vraiment dommage pour un aussi beau film. Heureusement il sortira bel et bien et les spectateurs pourront donc se délecter de cette douce mélancolie qui est l’apanage de l’auteure de l’inoubliable Wendy et Lucy. N’oublions jamais qu’il faut soutenir à tout prix les voix singulières et graves qui tendent à se raréfier, représentatives d’un cinéma différent qui respire à d’autres altitudes que les produits hyper-industrialisés et formatés d’aujourd’hui.

Avec Certaines femmes, Kelly Reichardt revient à l’émotion pure de Wendy et Lucy, à cette façon unique qu’elle a de montrer que les gens s’attachent à des personnes sans espoir de retour, en se raccrochant à des illusions, ou qu’ils vouent une affection éternelle à des animaux dont ils seront irrémédiablement séparés. Comme dans Wendy et Lucy, elle revient à une temporalité plus restreinte, celle de l’adaptation de nouvelles, celles de Mailie Meloy en l’occurence, un auteur peu connu en France. Néanmoins à la différence de ses précédents films, l’aliénation par le statisme dans une petite ville du Montana a remplacé la découverte de nouveaux espaces. Alors que l’aliénation arrivait souvent au bout du chemin, les personnages sont ici déjà enlisés dans un manque de communication et un isolement dont ils ne parviennent pas à se dépêtrer.

Dans Certaines femmes, Kelly Reichardt explore ainsi la solitude féminine dans tous ses états, en relation libre, en ménage ou en amour platonique. A chaque fois, ses personnages se heurteront à un mur, celui de l’incommunicabilité, représentée symboliquement par ces chaînes de montagnes du Montana qui semblent les emprisonner dans leur quotidien.

Trois histoires se croisent ainsi dans Certaines femmes, sans jamais s’interpénétrer. Laura (Laura Dern), avocate, partage une vie sexuelle avec un amant qui ne l’aime pas et se trouve un peu désavouée professionnellement par l’un de ses clients qui ne lui fait pas confiance. Gina (Michelle Williams), mère de famille très entourée, vit un quotidien d’épouse négligée. Jamie (Lily Gladstone, étonnante révélation), une Indienne travaillant dans une écurie, se prend d’amitié ; avec Beth (Kristen Stewart), une jeune enseignante stagiaire. A partir de là, ces femmes solitaires, sans être forcément seules, trouveront un mirage de réconfort grâce à des rencontres sporadiques et provisoires. Dans Certaines femmes, Kelly Reichardt explore ainsi la solitude féminine dans tous ses états, en relation libre, en ménage ou en amour platonique. A chaque fois, ses personnages se heurteront à un mur, celui de l’incommunicabilité, représentée symboliquement par ces chaînes de montagnes du Montana qui semblent les emprisonner dans leur quotidien. Les épisodes peuvent à première vue paraître inégaux, le troisième, celui de Lily Gladstone et de Kristen Stewart étant très émouvant, mais ce triptyque est au contraire très équilibré et tient sans doute grâce au deuxième volet, plus effacé a priori, mettant en scène une Michelle Williams, muse de la cinéaste, en mère de famille dépassée par les évenements conjugaux. Avec ce film, Kelly Reichardt met en scène un cinéma qui respire et prend son temps, travaillant le non-dit et les plans a priori inutiles à la narration mais résonnant de significations multiples. Elle montre l’Americana dans toute sa splendeur, l’Amérique rurale qu’on ne voit pas d’habitude dans les films, rappelant le cinéma américain des années soixante-dix comme Five Easy Pieces de Bob Rafelson. Beaucoup de subtilités et de finesse passeront sans doute au-dessus des amateurs de grosses machineries car Kelly Reichardt travaille l’intime sans jamais surligner ses intentions, suprême élégance de l’auteur qui est suffisamment confiante dans ses moyens d’expression. Il lui suffit de plans d’écurie vides ou de personnages regardant vers un ailleurs qui se refuse à eux, pour sonder le vide existentiel qui ne demande qu’à être comblé ;. Ce qui fait du bien en voyant ce film, c’est l’absence absolue de prétention. Certaines femmes ne prétend guère plus qu’à conter de sublimes portraits de femme, conformément à son titre. Ce n’est pourtant pas un film féministe qui prédirait une éventuelle émancipation des femmes. Loin de s’affirmer comme un manifeste politique, il résonne surtout dans l’intime et l’humain, comme certains des plus beaux films d’Antonioni. Lorsque Jamie, le personnage de Lily Gladstone, part à la recherche de Beth dans le troisième volet, un cheminement très pur est en jeu, celui de la confiance, de la fidélité et des promesses tenues ou non. Le spectateur ne peut alors s’empêcher d’être bouleversé; lorsque cette démarche va déboucher sur encore plus de solitude et de désespoir, symbolisés par une voiture à l’arrêt. C’est dans cette simplicité et cette pureté; que Kelly Reichardt réussit à montrer l’essence de son art.

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RÉALISATEUR : Kelly Reichardt 
NATIONALITÉ :  américaine
GENRE : drame 
AVEC : Laura Dern, Michelle Williams, Lily Gladstone, Kristen Stewart
DURÉE : 1h 47
DISTRIBUTEUR : LFR Films
SORTIE LE 22 février 2017