Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé : le retour du cinéma roumain

Hormis Lucian Pintilie, le cinéma roumain s’est véritablement révélé lors de la seconde moitié de la décennie 2000. Quatre cinéastes ont été ainsi mis en pleine lumière : Cristi Puiu, Cristian Nemescu (tragiquement décédé dans un accident de voiture en 2006), Corneliu Porumboiu et Cristian Mungiu. En 2005-2007, leur période dorée a culminé avec deux Prix Un Certain Regard en 2005 et 2007 (La Mort de Dante Lazarescu de Puiu et California Dreamin de Nemescu) et surtout la Palme d’or pour 4 mois, 3 semaines et 2 jours en 2007 de Cristian Mungiu. Depuis, trois des quatre mousquetaires du cinéma roumain poursuivent leur parcours dans les festivals internationaux, sans atteindre la même reconnaissance. Depuis la principale révélation du cinéma roumain se nomme Radu Jude (Bad Luck Banging or Loony Porn, N’attendez pas trop de la fin du monde). Il est encore un peu tôt pour parler de seconde Nouvelle Vague du cinéma roumain mais Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé en donne des nouvelles encourageantes, en se confrontant directement pour la première fois au coup d’Etat du 21 octobre 1989 qui a permis de renverser définitivement le dictateur Nicolae Ceaucescu.

20 décembre 1989. La Roumanie est au bord de la révolution. Les autorités préparent les festivités du Nouvel An comme si de rien n’était ou presque mais le vernis officiel commence à craquer. Dans l’effervescence de la contestation, six destins vont se croiser au fil d’une journée pas comme les autres. Jusqu’à la chute de Ceaușescu et de son régime.

Mureşanu excelle à montrer les petits moments de tension, secs, nerveux, irrépressibles, qui précèdent les grands bouleversements irréversibles.

Le cinéma roumain se signale par un réalisme de tous les instants qui peut évoquer le néo-réalisme italien des débuts, en adaptant les conditions de tournage à la faiblesse des budgets. Il y adjoint une veine satirique et un humour pince-sans-rire assez irrésistible (surtout visible dans California Dreamin et les films de Paromboiu), ainsi qu’un style en plans-séquences souvent fixes. Il avait aussi pour caractéristique de ne jamais se confronter directement à l’Histoire. Le tabou est désormais levé avec Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé.

Bogdan Mureşanu réalise son premier film à 50 ans et démontre une maîtrise déjà éblouissante du cinéma. Aussi bon pour tourner les scènes individuelles ou de couple, caméra à l’épaule, que les séquences à forte figuration, plus stylisées, Muresanu s’est manifestement très bien préparé pour relever ce défi du récit choral qui n’est jamais évident, surtout pour un premier film. Il va ainsi entrecroiser à la manière de Robert Altman, Cristian Nemescu, voire de Claude Lelouch (!) six destins à la veille d’un coup d’Etat historique, après les événements dramatiques de Timisoara : une actrice qui cherche tous les moyens pour ne pas participer à l’émission télévisée officielle, une famille bouleversée par l’envoi d’une carte au Père Noel par le gamin de la famille qui souhaite la mort d’un certain Nicolae, une grand-mère qui se trouve au bord du suicide, un manifestant engagé pour participer à un rassemblement de masse exigé par Ceaușescu pour montrer le soutien populaire au régime, etc. Mureşanu excelle à montrer les petits moments de tension, secs, nerveux, irrépressibles, qui précèdent les grands bouleversements irréversibles. En moins satirique, son film se rapproche assez de California Dreamin‘ par sa volonté de brasser un ensemble de destins diversifiés.

Certes toutes les histoires ne se valent pas, comme souvent dans les films choraux – on peut préférer celle de l’actrice ou de la famille – mais le tout finit par fusionner dans une montée crescendo dans les vingt dernières minutes, sur fond imparable de Boléro de Ravel (Lelouch toujours?). Mureşanu orchestre une véritable symphonie révolutionnaire qui joue de toutes les ressources du montage, du contrepoint et des actions parallèles, petit moment d’anthologie. Il n’a donc pas volé le Grand Prix Orrizonti au dernier Festival de Venise qui laisse de grands espoirs pour la suite de son oeuvre.

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RÉALISATEUR :  Bogdan Mureşanu 
NATIONALITÉ :  roumaine
GENRE : drame, historique
AVEC : Adrian Văncică, Nicoleta Hâncu, Emilia Dobrin
DURÉE : 2h18
DISTRIBUTEUR : Memento Distribution
SORTIE LE 30 avril 2025