Carla et moi : Two lovers

Dans la famille Coppola, on demande le neveu. Après la sortie pour le moins controversée de Megalopolis de Francis Ford Coppola, le Parrain du Nouvel Hollywood, c’est au tour de Jason Schwartzman d’occuper les feux de l’actualité. Il assurait d’ailleurs un petit rôle dans Megalopolis aux côtés de sa mère Talia Shire, soeur de Francis. Jason Schwartzman est surtout connu comme acteur fétiche et coscénariste de Wes Anderson (Rushmore, A bord du Darjeeling limited, Asteroid City). Cette fois-ci il se retrouve au centre d’une comédie indépendante douce-amère de Nathan Silver qui signe avec Carla et moi son huitième film, son deuxième seulement distribué en France. Carla et moi est en effet une bien étrange comédie, attachante et paradoxale, baignant dans la judéité et un certain nombre de références cinématographiques intrigantes.

Un an après la mort de sa femme Ruth, Ben, chantre dans une synagogue, traverse une crise de foi et devient incapable de chanter. Il retourne vivre chez sa mère Meira et sa compagne Judith. Après une bagarre dans un bar, il retrouve Carla, son ancienne prof de musique en école primaire. En dépit de son âge déjà avancé, elle voudrait faire sa bat-mitzvah, l’équivalent de la bar-mitzvah pour les filles. Ben va l’accompagner dans son souhait improbable.

Une comédie douce-amère, sur fond de deuil mal assumé et d’amours inavouées, où les personnages principaux essaient de repousser les spectres de la mort et du vieillissement, en jouant à se fixer des défis impossibles.

Cela faisait un certain temps qu’on n’avait pas vu une comédie américaine affichant clairement sa proximité avec l’univers religieux juif. Carla et moi est peut-être même l’un des rares cas où le « héros » du film travaille dans une synagogue auprès d’un rabbin, et où le principal objectif du film est la réalisation d’une bat-mitzvah, événement signifiant l’accès à l’âge de la majorité religieuse pour les Juifs. Ce type d’éléments religieux apparaissent de manière furtive dans quelques films américains, de loin en loin : Crimes et délits de Woody Allen et son personnage de rabbin qui devient aveugle, interprété par Sam Waterson ; A Serious Man des frères Coen et ses histoires récurrentes de rabbin, Two Lovers de James Gray où deux familles juives souhaitent unir leurs deux enfants, alors que le frère de la fiancée, jeune ado, va faire sa bar-mitzvah.

Si on est un peu familier des us et coutumes du judaïsme, Carla et moi ne dépaysera pas le spectateur qui retrouvera avec plaisir cet univers très spécifique. Ce film de Nathan Silver évoque ainsi les oeuvres de Woody Allen des années 70-80, avec un personnage de loser qui a du mal à faire le deuil de son épouse bien-aimée. Mais l’humour se trouve nettement en berne, le ton du film voguant plutôt vers le doux-amer. Ce serait un film de Woody Allen lorgnant beaucoup stylistiquement sur les films de John Cassavetes (le montage volontairement et faussement aléatoire, les gros plans de visage, le faux rythme dramatique) et s’inspirant de Harold et Maude d’Hal Ashby.

C’est en fait le point de départ du film, cette rencontre entre un quadragénaire complètement perdu dans sa vie et cette dame du troisième âge, encore vive et enthousiaste. Carol Kane qui avait d’ailleurs tenu un petit rôle dans Annie Hall de Woody Allen et ébloui les cinéphiles des années 70 par sa beauté rétro typique des années 20, fait merveille dans ce rôle de grand-mère qui a gardé sa ferveur de jeune fille et souhaite accomplir sa bat-mitzvah, avant qu’il ne soit trop tard. De son côté, Schwartzman interprète avec justesse le dépressif lymphatique qui a du mal à articuler et à extirper les mots de sa bouche pâteuse.

L’histoire se complique quand, dans le dernier tiers de l’intrigue, Ben tombe sous le charme d’une jeune femme, Gabby (excellente Madeline Weinstein, sans lien de parenté avec le sinistre Harvey), la fille du rabbin. Gabby va tenter sexuellement le pauvre Ben qui sortira de cette épreuve encore plus perdu qu’au début, face à deux femmes qui se partagent son coeur, sans le savoir. Cette intrigue à la manière de Two Lovers arrive un peu (trop) tard dans le film mais donnera lieu à sa séquence la plus mémorable, le climax du repas du Shabbat, où Ben ouvrira son coeur à toute l’assemblée, une petite séquence d’anthologie qui n’aurait pas déparé dans un Cassavetes.

Par conséquent, Carla et moi est une comédie douce-amère, sur fond de deuil mal assumé et d’amours inavouées, où les personnages principaux essaient de repousser les spectres de la mort et du vieillissement, en jouant à se fixer des défis impossibles.

3.5

RÉALISATEUR : Nathan Silver 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : comédie 
AVEC : Jason Schwartzman, Carol Kane, Madeline Weinstein, Caroline Aaron, Dolly De Leon 
DURÉE : 1h51 
DISTRIBUTEUR : Dulac Distribution 
SORTIE LE 23 octobre 2024